Quand Frédéric Pillot illustre un roman initiatique de Jules Verne, où il est question de naufrage et de forêt, cela ne peut qu’attirer l’attention. Deux ans de vacances, aux éditions Sarbacane : voilà qui est fait pour ce que l’on peut qualifier de chef d’œuvre.
Sublime. La couverture sublime est une invitation à la lecture et au voyage. Le voyage, il va de soi quand le nom de Jules Verne figure en tête d’album, lui, l’écrivain nantais qui a consacré toute sa vie d’écriture à raconter des périples sur terre, sur mer ou dans les airs. Le second nom accolé à l’écrivain est celui de Frédéric Pillot, un patronyme qui vous donne carrément envie de décoller. Illustrateur aux deux millions de livres vendus (on n’ajoutera pas volontairement le terme de jeunesse à celui d’illustrateur), il était impossible de trouver meilleur compagnon pour Jules Verne.
Nous nous souvenons d’une exposition au Palais du Grand Large à Saint-Malo en 2021 dans le cadre du Festival Quai des Bulles, où les visiteurs venaient et revenaient admirer les planches exceptionnelles du dessinateur dont les albums étaient vite épuisés sur le stand Maghen. Lui, le mosellan qui a découvert la mer en vacances à Saint-Malo, est devenu un véritable peintre de l’élément liquide avec notamment son fameux Balbuzar, terreur des mers qui navigue sur le rafiot l’Enragé et pille tout ce qui passe. Une image de Pillot, sophistiquée et détaillée à outrance, peut demander des heures d’observation et nous avons encore en mémoire les regards éberlués des visiteurs quittant un cadre à regret pour le suivant. L’avantage du livre, outre d’éviter de longues stations debout, c’est de pouvoir s’attarder et revenir sur une planche, aussi longtemps et souvent qu’on le souhaite. Celles que vous proposent Deux ans de vacances sont simplement exceptionnelles. On y retrouve bien entendu ces fameuses mouettes (à moins qu’il ne s’agisse de goélands ! ou de pélicans !) aux ailes incurvées et aux becs orange aplatis comme des cuillères. Mais la mer n’est pas la seule invitée de prestige et celui qui illustra notamment les Fabuleuses Fables du Bois de Burrow sait aussi peindre comme nul autre les animaux, la forêt, surtout lorsqu’elle est luxuriante. Cela tombe bien car Jules Verne débute son récit par la description d’un navire, un schooner en perdition à bord duquel se retrouvent quinze enfants. Pris dans une tempête, après une nuit hallucinante, le navire s’échoue sur une île déserte. Ou habitée ? Ils s’appellent Briant, Gordon et Doniphan pour les plus âgés de 13 et 14 ans qui vont veiller sur les plus jeunes. Pour survivre, il va falloir explorer l’île et pénétrer dans la forêt. Nous y voilà ! Et Pillot remplace le bleu et blanc de l’océan par toutes les nuances possibles de vert, invitant le lecteur à scruter, comme les jeunes aventuriers, le végétal pour y découvrir de la nourriture, les dangers possibles, et peut-être de véritables brigands.
Heureusement, la lumière perce souvent les frondaisons car, roman initiatique de jeunes Robinsons à l’école de la vie, l’optimisme reste de rigueur. Et la morale est sauve : des jeunes courageux et bien éduqués s’en sortent toujours. Venus par la mer nos aventuriers ne pouvaient repartir que par l’océan. Pillot nous ramène donc sur les quais dans une dernière double page à couper le souffle. La magie du livre opère, celle de l’imagination débordante du romancier à laquelle le dessinateur peintre ajoute ses propres images d’évasion, de poésie. À eux deux, ils forment de merveilleux transmetteurs de l’imaginaire, cette curiosité que l’on acquiert enfant, parfois à la lumière d’une lampe de poche, sous les draps, et que l’on a envie de prolonger une fois adulte quand les rêves s’éloignent pour laisser la place à des réalités moins poétiques.
On peut aussi écrire que l’objet est somptueux, aux dimensions généreuses pour laisser la place au regard. On peut le lire à genoux, debout, assis, à voix haute pour un enfant ou pour soi, silencieusement. Un seul conseil : éviter sa lecture dans les transports en commun. Trop grand, vos voisins voyageurs plongeraient dans votre livre pour tenter d’y découvrir tous les détails. Et un seul voyage n’y suffirait pas.