Avec cette deuxième enquête barcelonaise dans le monde du foot, Jordi Lafebre poursuit la thérapie de sa psychanalyste préférée, Eva Rojas. Jouissif et drôle.
Bavarde ? Incontestablement oui.
Hyper active ? Sans aucun doute.
Imprévisible ? C’est certain.
Déroutante ? Très souvent.
Plutôt que chercher multitude de qualificatifs pour désigner la personnalité de Eva Rojas, un seul suffit en fait : « emmerdeuse ». Les lecteurs de Je suis leur silence (voir chronique) savent de qui nous parlons et comprendront immédiatement cet adjectif. Les autres, qui vont découvrir avec cet album la longiligne psychanalyste-enquêtrice, sauront ainsi immédiatement à qui ils ont affaire. Elle qui se définissait comme une « personnalité instable. Signes évidents de bipolarité » se trouve de nouveau mêlée de près à un meurtre auquel elle a assisté, et bien entendu, dont elle peut être soupçonnée. On vous l’a écrit : rien ne fonctionne normalement avec elle.

Soyons précis comme doit l’être une enquête policière. Les trois quarts du corps de la victime sont enfouis dans le béton et pourtant l’identification est facile. Baskets, signes nazis tatoués le long des mollets, c’est un des membres d’une bande criminelle, un peu, beaucoup facho sur les bords, et qui soi dit en passant, ne brille pas par ses réflexions philosophiques. Ce jour-là, Eva était sur la flèche d’une grue d’où est tombé le sinistre individu. En tenue de soirée. Et chouette manteau de plumes. Logique de finir la fête sur une grue surplombant Barcelone. Il faut bien avoir l’esprit mal tourné de l’inspectrice Merkel (tout lien avec l’ancienne chancelière allemande serait…) pour voir cette situation comme anormale. Mais, Eva va tout expliquer aux policiers, comme à son psychiatre, réunis ensemble pour un témoignage improbable.
Cela faisait une semaine qu’Eva recherchait son patient, un jeune joueur de foot talentueux. Nous sommes à Barcelone, il ne faut pas l’oublier. Et le club de foot (« toute ressemblance avec le FC Barcelone serait… ») n’est pas vraiment un club de charité. Un groupuscule néo-nazi, un jeune joueur de foot en quête de sa sexualité, un groupe de prostituées attaqué, vous mélangez le tout et vous obtenez une enquête à la fois passionnante et délirante. Surtout nous nous devons de ne pas omettre le rôle essentiel joué par des voix qui dictent parfois la conduite de Eva, et la remettent dans le droit chemin, celui du rationnel. On avait fait connaissance avec elles dans le précédent opus. Elles sont trois, deux grand-tantes et la grand mère d’Eva, rescapées de la guerre civile, bonnes fées, aux conseils parfois déroutants, mais liens intergénérationnels importants.

C’est virevoltant, léger, amusant et passionnant comme un thriller dont on attend les révélations finales. Le dessin de Jordi Lafebre reste fidèle à la tendresse et à la douceur de son crayon, de ses couleurs qu’il utilisait pour illustrer les Beaux Etés écrits par Zidrou. Sous des apparences loufoques, il dit beaucoup de notre monde contemporain, de ses moeurs notamment et trace avec Eva Rojas le portait d’une féministe qui n’a pas peur de dire ses désirs. Sa personnalité délirante, lui retire tous les freins et filtres de bon aloi. Elle dit, raconte ce qu’elle vit et ressent. Ni plus. Ni moins. Sa connivence avec ses trois voix disent aussi l’histoire de générations qui se succèdent, différentes et complémentaires. Sous la loufoquerie se cachent souvent des propos sérieux.
Eva semble bien partie pour venir nous raconter tous les dix huit mois une nouvelle étape de sa psychanalyse. A la vitesse où elle rencontre des cadavres, et où elle progresse dans l’étude de sa psyché, ses confessions pourraient bien devenir une série à succès. Il lui suffit de s’allonger sur le divan et de raconter. Jordi Lafebre nous dessinera le tout. Pour notre plus grand plaisir de voyeur. Et de lecteur.
Je suis un ange perdu de Jordi Lafebre. Éditions Dargaud. 112 pages. 21,50€. Paurtion : 17 octobre 2025. Lire un extrait
