Revenir des camps nazis était une nouvelle forme d’épreuve. La BD Les cheveux d’Edith, aux éditions Dargaud, nous raconte cette tentative de retour à la vie avec une infinie douceur et un didactisme adapté. Bouleversant et juste.
« J’avais les cheveux mi-longs avant la guerre. C’est idiot, mais je me dis que lorsqu’ils seront à nouveau aussi longs, j’irai peut être mieux … ». Cette phrase a priori anodine de la part d’une adolescente revêt une importance particulière lorsque cette jeune fille, Edith, rentre en ce mois de mai 1945, du camp de Birkenau. Physiquement survivante, elle est hébergée quelque temps comme des centaines de déportés, rescapés des camps nazis, à Paris dans l’hôtel Lutetia, transformé en centre d’accueil pour quelques semaines. Paradoxe de l’Histoire, cet hôtel de luxe dans le 6e arrondissement de Paris, quartier de Notre-Dame-des-Champs, fut réquisitionné en 1940 par le service de renseignement et de contre-espionnage de l’état-major allemand, qui y a installé son quartier général. Edith dans ces murs luxueux, essaie de renouer avec la vie. Traumatisée, elle ne parvient pas à se nourrir, à dormir dans un lit. Elle s’allonge en boule sur la moquette, muette, incapable de relations avec les autres. Difficile de regarder par la fenêtre lorsque l’on y voit des baraquements, des barbelés, des cheminées mortelles au lieu d’observer la renaissance printanière des arbres. Il faudra un jeune homme de son âge, qui prépare son baccalauréat, pour qu’elle retrouve le sens de la parole et s’interroge sur la longueur de ses cheveux. Louis est un garçon sensible, amateur de cinéma, en conflit avec son père mal à l’aise dans cette situation d’après guerre, il a vu devant l’hôtel les familles prostrées des heures durant dans l’attente hypothétique d’un retour d’un être aimé. Il se porte bénévole pour l’accueil.

Pierre Assouline avait, avec son roman « Lutetia » en 2006, mis en lumière ce moment du retour, dans ces locaux paradoxalement inappropriés. Jusque là, l’Histoire ne s’était pas attardée sur cet épisode que la population française préférait ignorée pour reprendre une vie normale, sans drame ou souvenirs insupportables. Les déportés eux-mêmes, traumatisés à vie, souhaitaient eux aussi se taire, craignant l’incompréhension des leurs devant l’indicible. Les auteurs de la BD réussissent à évoquer ce sujet lourd en plaçant leur récit à hauteur d’un adolescent particulièrement touchant. Avec ses cheveux blonds, son regard presque translucide, Louis est un Pierrot s’éveillant au monde adulte, n’hésitant pas à se confronter à son père pragmatique et réaliste. Touché par le mal être d’Edith, Loulou et sa douceur, sa délicatesse envahissent des pages, jamais larmoyantes mais empreintes d’une belle humanité.
L’album se veut aussi didactique et la reconstitution du Lutetia nous emmène dans les chambres où tentent de dormir des silhouettes de femmes et d’hommes. On n’entre pas directement au Paradis lorsque l’on rentre de l’Enfer. Nous sommes ainsi à la descente des bus, dans la foule qui attend, inquiète ou désespérée. Nous parcourons les couloirs, les cuisines, le hall d’entrée pour découvrir cet accueil impossible qui se met en place. La violence est celle des souvenirs, des images ancrées à jamais dans la conscience des survivants. Dawid, évoque avec justesse par son dessin et une quasi monochromie, l’arrivée dans les camps, la sauvagerie du quotidien, les fosses communes et l’extermination. À Birkenau, les prisonniers deviennent transparents, de simples silhouettes au trait noir alors que les bourreaux se parent de visages de monstres carnavalesques. Des hommes ne peuvent pas avoir commis ces violences. Uniquement des monstres.

Par une heureuse confrontation, les autres personnages de la BD, sont emplis d’une belle humanité. Ni héros, ni bourreaux, ils sont profondément attachants. En quelques mots et quelques traits ils sont là devant nous: le père à la conscience altérée, le patron bonhomme du cinéma qui emploie occasionnellement Louis, un professeur revenu avec un bras en moins, une petite soeur qui cherche à comprendre le monde des adultes, deux copains du lycée. Ils disent la vie qui reprend, emplie d’amitié, d’amour.
La lecture terminée nous apprenons que le matricule 78750 sur le bras d’Edith était celui de Marceline Loridan-Ivens, une rescapée qui sa vie durant n’eut de cesse de « raconter pour que l’histoire ne se reproduise plus », une lutte contre l’oubli que poursuit également à sa manière cette remarquable BD qui nous laisse espérer que les cheveux d’Edith poussent jusque sur ses épaules. Et même plus encore.

Les cheveux d’Edith. scénario : Fabienne Blanchut et Catherine Locandro. Dessin : Dawid. Editions Dargaud. 160 pages. 22,95€. Parution : 5 septembre 2025. Lire un extrait
