Palmer est de retour sous la double signature inattendue de Pétillon-Larcenet. Une enquête pleine de rouge qui tâche … de nous faire sourire et même rire. Et y réussit totalement. Formidable et incontournable.
Sa silhouette nous avait manqué. Pas de nouvelles de notre détective depuis 2013. Nous avions laissé l’imperméable gris mastic et le chapeau cloche de Jack Palmer sur un rocher de granit breton. Depuis aucune information, si ce n’est le décès de son papa créateur, René Pétillon en 2018. Aussi quelle joie de le retrouver sur la couverture d’un album même s’il semble en mauvaise posture, glougloutant dans une marée rouge bordeaux. En enquêtant un peu, à la Palmer, on découvre sur la couverture, un nom accolé à celui de Pétillon, le nom de Larcenet. En investissant encore plus, sans limites de moyens, nous découvrons l’histoire de la création de ce seizième opus. Jean-Marc Pétillon, le fils et sa mère, connaissaient l’existence d’un scénario se passant dans le milieu du vin bordelais. Ils retrouvent après le décès de René, une enveloppe avec 75 crayonnés de planches, et des « notes indiquant différentes pistes pour conclure l’histoire » (1). Un travail consistant déjà très avancé. Il fallait donc choisir un dessinateur pour remettre l’histoire définitivement en forme et la conclure. Le nom de Manu Larcenet, selon nos différentes informations recueillies de sources sûres, s’est imposé rapidement. Et pour quel résultat ! Inutile de tourner autour du verre plus longtemps, Palmer dans le rouge, trouve sa place au sommet, auprès de L’Enquête corse et autres aventures de notre détective. L’histoire explore cette fois-ci le monde viticole bordelais, pour une enquête en immersion.

Ange Leoni, est un cousin corse de Bernadette Grolo-Laglotte, propriétaire de vignes « au bord du Médoc ». Aussi, solidarité insulaire oblige, quand les châtelains découvrent que leur fille Bénédicte s’est enfuie, refusant d’épouser John, un riche héritier de vignobles californiens, Ange fait appel à une vieille connaissance, Jack Palmer, un privé qui a le tort cependant « de poser trop de questions ». Notre fin limier, à peine atterri, à Bordeaux soucieux de s’immerger dans le milieu viticole et d’en comprendre les ressorts, décide de se rendre à un salon du vin. Pour goûter bien entendu (sans modération) mais aussi pour y découvrir certains secrets de fabrication notamment de ces cuvées « améliorées » dont on parle à voix basse derrière les chais de chêne. Et quand Palmer met son nez dans le (gros ?) rouge, le lecteur averti se doute que cela déménage, de maladresses en naïveté, créant de multiples carambolages, jusque dans les vignes du voisin très sélect de la cuvée Bourdon-Lafoulée (les patronymes composés sont l’habitude dans le Médoc, et même sur les côtés du Médoc). Le suspens est à son comble : Palmer va t-il retrouver Bénédicte ? Les vins du bord du médoc valent-ils ceux du plein Médoc ? Il vous faudra aller au bout des 68 pages pour avoir réponses à ces multiples questions et y découvrir un dernier jeu de mots irrésistible (je reconnais ce procédé honteux d’hameçonnage pour vous donner envie de lire la BD !).

A la lecture jouissive de cette enquête, on ne peut que constater le choix judicieux de Larcenet pour compléter et terminer cette histoire. On savait que son dessin s’accordait parfaitement à celui de Pétillon, et il ne manque pas un pli à l’imperméable de Palmer, mais la satire d’un milieu fermé, menacé par le critique américain Robert Parker et son guide critique intraitable, est goulue à souhait, dissimulant probablement une immersion en cave importante. On découvre ainsi une œnologue au langage fleuri et choisi, des frères Taramac « amélioreurs » de vins, un propriétaire de vignes plus proche d’Hollywood que de Bordeaux, des « vinfluenceurs » rivés à leurs portables, un maître de chais souvent en « pause ». Tous ces personnages savoureux, ont en bouche des dialogues et répliques inoubliables. Palmer promène bien entendu, comme d‘habitude sa nonchalance et sa candeur, qui peuvent créer de sérieux carambolages mais lui permettent aussi de débusquer, presque par inadvertance, de fieffés truands, plus bêtes que méchants.
Cette Bd est de celle qui laisse un long goût en bouche, avec une robe légère, une belle rigolade en milieu de gorge, et au final un vrai bonheur avec des tarins bien alignés. Plus simplement : un grand cru.
Palmer dans le rouge. Scénario et dessin : Pétillon et Larcenet. Editions Dargaud. 68 pages. 17,50€. Lire un extrait
A noter la parution en deux tomes de l’Intégrale Palmer chez Glénat. Le tome 1 vient de paraitre et le Tome 2 sera édité le 3 décembre.
(1): ces renseignements, obtenus avec l’aide inestimable de Jack Palmer, sont extraits d’une interview parue dans le magazine 193 de Casemate. Propos recueillis par Jérôme Lachasse.
