Dans cette compilation de ses dessins de presse, Coco nous invite à regarder l’actualité avec notre intelligence et notre esprit critique. Magnifique et salutaire.
Dans son numéro n° 1734 du 15 octobre, Charlie Hebdo consacrait une double page aux réactions des réseaux sociaux à la suite du traitement du conflit israélo-palestinien par l’hebdomadaire. « Brûlot antisémite ou torchon enjuivé ? », s’interroge le journal insulté, mis en cause à la fois par les pro-israéliens et par les pro-palestiniens. Ce qui pourrait passer pour le signe d’un traitement équilibré de l’information – puisqu’il mécontente tout le monde – devient en réalité l’image symbolique d’une opinion publique qui ne supporte plus la contradiction, incapable d’analyser, de réfléchir et, finalement, d’utiliser son libre arbitre pour se forger un avis. C’est à cet article que l’on pense quand on ouvre le recueil de quatre années de « dessins de presse publiés ou refusés dans Libération et Charlie Hebdo » de Coco, survivante des massacres du 7 janvier 2015 qu’elle a évoqués magistralement dans Dessiner encore (voir chronique). Ainsi, au chapitre « Guerre au Proche-Orient », par principe et par éthique – mais nullement par souci d’« équilibre » politique –, les dessins de Coco mettent en cause tout autant les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre que la politique guerrière de Benyamin Netanyahou.
Cette absence de parti pris idéologique se retrouve dans un dessin symbolique en quatre cases qui évoque les viols conjugaux, les viols de guerre, les viols collectifs – autant d’actes qui suscitent la réaction des féministes militantes –, ces dernières tournant en revanche le dos, banderoles à la main, quand sont figurés les viols du 7 octobre. Ne pas fermer les yeux quand des images vont à l’encontre de vos convictions. Tout montrer, tout dénoncer : c’est ce que fait Coco au fil de ces pages qui constituent une véritable chronique éditoriale, comme celles de Plantu à la une du Monde pendant un demi-siècle, mais beaucoup plus engagées que celles du dessinateur. « Vous la sentez la révolte, la colère et l’indignation ? Parfait, c’est de là que vient le dessin de presse », écrit-elle.

De chapitres thématiques en dessins tous formats, le plus souvent en noir et blanc, Coco ironise sur ses cibles favorites : les ultra-religieux, les climatosceptiques, les pédophiles, les phallocrates, mais aussi les « grands » de ce monde qui subissent la férocité d’un trait noir épais, donnant un contour net aux choses et aux êtres. Netanyahou, Trump ou Poutine ont leurs portraits qui se transforment en chars ou en diables. La politique française n’est pas oubliée, avec des attaques féroces contre Macron, Le Pen, mais aussi Mélenchon et LFI. Seule la gauche n’apparaît pas caricaturée comme telle, mais fait l’objet de dessins de désespoir et d’incompréhension, comme si Coco baissait les bras, en forme d’impuissance.
Au-delà de la compilation, l’ouvrage est enrichi de planches inédites dans lesquelles la dessinatrice se confie, dévoilant une part de son processus de création, mais aussi les attaques violentes et incessantes dont elle fait l’objet sur les réseaux sociaux ou en séance de dédicaces par exemple, quand une autrice l’agresse verbalement, fière d’avoir participé à son « lynchage ».


Tout n’est pas que polémique outrancière pour autant, car les dessins sont aussi – et surtout ? – un gigantesque plaidoyer pour le féminisme, la cause animale, l’intelligence, en un mot l’humanisme, ce mot si galvaudé qui renferme en lui-même toutes les valeurs de l’humain. Ainsi ce dessin qui a fait le tour du monde, relayé par Sharon Stone : un drapeau américain où les bandes rouges deviennent les bandes sanglantes des femmes menacées dans leur droit à l’IVG. L’ironie dessinée n’a qu’un objectif : ouvrir les esprits et lutter contre la pensée figée et monolithique. Coco nous invite à réfléchir contre nous-mêmes, rare moment de bonheur dans ce monde où les algorithmes nous confortent à longueur de journée dans nos croyances et nos opinions. Logiquement, et heureusement, certains dessins peuvent nous gêner, nous irriter, mais, comme l’écrit Richard Malka dans sa préface : « Si vous avez acheté ce livre (NDLR : et lisez cette chronique), c’est que vous n’avez pas peur d’être heurté dans vos convictions. C’est le prix à payer pour rire ».
Ce prix, Coco le paie depuis dix ans, elle qui vit accompagnée de deux gardes de sécurité, mais il ne lui fera jamais quitter ce crayon accroché sur la couverture, comme un rappel de ces manifestations après les attentats de Charlie, où le droit et le devoir d’utiliser ce petit ustensile en bois étaient le symbole d’une arme redoutable contre le fanatisme. Et la bêtise.

Signé Coco. Éditions Les Arènes. 352 pages. 28 €. Parution : 6 novembre 2025. Lire un extrait
