Bretagne. Ces artistes qui ont témoigné de la Grande guerre

les artistes témoins de la Grande guerre
Camille Godet

Lors de la Première Guerre mondiale, 592 916 Bretons sont mobilisés, soit 7,38 % des appelés français. Les Bretons sont réputés courageux, obéissants et endurants. La majorité d’entre eux sont paysans ou marins, mais parmi eux se trouvent aussi des artistes : écrivains, peintres et sculpteurs ont immortalisé, grâce à leurs écrits, leurs peintures ou leurs gravures, les traces de leur vie au front, dans les tranchées. Unidivers a dressé une sélection de quelques-uns d’entre eux.

L’écrivain français Pierre Mac Orlan (1882-1970) disait des Bretons lors de la mobilisation en 1914 en Bretagne : Tous les hommes étaient en mer et j’ai le drapeau tricolore sur les sardineries, signe de mobilisation générale. Tout le monde a rallié le port, j’ai vu les gars descendre, rentrer chez eux prendre leurs costumes de la marine de guerre, leurs chemises bleues et leurs bonnets à pompon rouge. Ils ont rejoint leur bâtiment à Lorient ou leur dépôt à Brest, sans  jamais demander d’explications. Ils n’ont même pas demandé contre qui ils allaient se battre. Beaucoup pensaient que c’était contre les Anglais. Ils sont étonnants, ces Bretons ! En effet le patriotisme de l’ensemble des Bretons ne peut être mis en doute : les pères de famille revêtent l’uniforme et les jeunes gens quittent pour la première fois leur pays.

les artistes témoins de la Grande guerre
le 19e régiment d’infanterie de Brest

À travers leurs œuvres, des artistes nous ont raconté la Première Guerre mondiale : Jean-Marie Conseil ; Mathurin Méheut ; Jean-Julien Lemordant ; André-Augustin Sallé ; Jeanne Malivel ; Camille Godet. Certains sont revenus de la guerre, parfois blessés ou invalides, d’autres sont morts pour la France !

Le prêtre Jean-Marie Conseil : originaire de Cléder dans le Finistère, il était le curé de la paroisse de Saint-Mathieu à Morlaix (29). En août 1914, il est mobilisé pour servir au front en qualité de brancardier. Pendant deux années de guerre, il écrit plusieurs carnets qu’il illustre avec de nombreux dessins et aquarelles. Il entretient aussi une correspondance assidue avec les membres de sa famille, en français et parfois en breton.  Au travers de ses trois fonctions : de prêtre, de soignant et d’artiste, Jean-Marie Conseil a nourrit sans cesse des réflexions profondes, originales et rares sur le sens religieux de la guerre. Le 4 septembre 1916, il perd la vie à 32 ans, en secourant un camarade.

Les écrits de Jean-Marie Conseil ont été rassemblés dans un ouvrage intitulé Un Chouan dans les tranchées par l’auteure Nelly Blanchard en 2017, l’objectif étant de former a posteriori une source cohérente permettant d’accéder à un vécu particulier de la Grande Guerre. Le livre témoigne de l’état d’esprit, de la spiritualité et du patriotisme de ce prêtre combattant breton. Loin de lui d’avoir abandonné les valeurs sur lesquelles il s’était construit avant la guerre, cette expérience semble au contraire lui avoir donné un sens plus fort encore, à l’image de celles d’un chouan.

Le peintre et illustrateur Mathurin Méheut (1882-1958) est né à Lamballe dans les Côtes du Nord (Côtes d’Armor). Il fait ses études à l’école des Beaux Beaux Arts de Rennes (35) puis s’installe à Paris pour s’inscrire à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. Lauréat de la Bourse autour du monde, son voyage au Japon est interrompu par la déclaration de guerre. Mathurin Méheut est incorporé au 136e régiment d’infanterie. Il se retrouve en première ligne plongé dans l’enfer des tranchées pendant un an et demi, du côté d’Arras (62), à Sainte-Menehould (51), puis dans la Somme avant d’intégrer l’état-major pour faire des relevés topographiques. Il réalise ses Croquis de guerre et témoigne des scènes quotidiennes de la vie dans les tranchées et des champs de bataille, une manière différente d’aborder la guerre. Les lettres qu’il adresse à son épouse et à sa fille sont toujours accompagnées de dessins. Il ne cache rien et cela permet de rentrer dans son intimité, dans sa relation avec la dure réalité de la guerre, avec le lien qui l’unit à ses camarades et à cette humanité. Sa carrière de peintre démarre réellement après la guerre…

Le peintre Jean-Julien Lemordant (1878-1968) est né à Saint-Malo en Ille-et-Vilaine. Orphelin sans ressources dès l’adolescence, il réussit cependant à suivre des études à Rennes puis à l’école des Beaux Arts de Paris et dans l’atelier du peintre et professeur Léon Bonnat. Il est déjà un peintre reconnu quand la guerre éclate : il aime peindre la Bretagne, les Bretons, les saisons et la mer ; il a décoré sur 60 m2 la salle de l’hôtel l’Epée à Quimper en 1905 et assumé en 1912 la décoration du plafond et du rideau de scène du théâtre de Rennes. Avant la guerre, il est considéré comme le plus grand peintre de la Bretagne. Il reçoit de nombreuses grandes commandes jusqu’en 1914, année où tout s’effondre ! Jean-Julien Lemordant est sous-lieutenant dans cette terrible guerre, d’où il parvient à s’évader l’esprit grâce à la réalisation de ses dessins sur lesquels il croque ses compagnons de misère ! Huit fois blessé au champ d’honneur et trente-deux fois opéré, il perd aussi la vue lors d’un combat à Arras en octobre 1914. Il est fait prisonnier par l’ennemi. Échangé contre des prisonniers allemands, il est libéré en 1916 et décoré lors d’une prise d’armes aux Invalides à Paris, le 23 novembre 1916. Sa carrière d’artiste peintre est interrompue. Il se raconte qu’il recouvre la vue en 1935 !

Le sculpteur de renommée internationale André-Augustin Sallé (1891-1961) est né à Longueau en Picardie et mort à Paimpol dans les Côtes du Nord. Promis à une brillante carrière, la déclaration de guerre met fin à ses études au sein des ateliers parisiens. Incorporé au 87e régiment d’infanterie, il est blessé à l’avant bras lors d’une attaque le 4 décembre 1914. Son bras reste paralysé. Mutilé de guerre, il est réformé le 6 décembre 1915. André-Augustin Sallé parvient à faire sa rééducation lui-même et à reprendre la sculpture en 1919. Il obtient aussi une place de professeur à l’École des Beaux Arts de Nîmes (30). Son imposante statue en plâtre, intitulée La mort et le bûcheron porte les marques du traumatisme de la guerre du sculpteur, bien qu’elle ait été réalisée après la guerre. Ce choix de représentation le renvoie à ses souvenirs de guerre et aux images de mort des champs de bataille et des tranchées de 1914. Cette œuvre lui valut d’être le seul sculpteur français lauréat du Grand prix de Rome, en 1924. Parce que son épouse était originaire de Saint-Connan dans les Côtes du Nord, André Augustin Sallé y fit construire une maison à l’Étang Neuf pour y vivre ses vieux jours.

La peintre et graveuse Jeanne Malivet (1895-1926) est née à Loudéac en Côtes du Nord. Elle fait ses études secondaires à l’Institution de l’Immaculée Conception de Rennes et s’avère douée pour le dessin. Elle interrompt ses études à 19 ans, car dès le début de la guerre en 1914, Jeanne Malivel se porte volontaire pour devenir infirmière à l’hôpital militaire auxiliaire de Loudéac, installé dans l’école Sainte-Anne. Avec dévouement et au quotidien elle est au chevet de soldats aux blessures et douleurs abominables, auprès de combattants gazés, de gueules cassées. Elle croque une soixantaine de blessés hospitalisés et de soignants affligés, de toutes les origines. Elle réalise des croquis mais aussi des gravures sur bois, car elle pense que c’est plus parlant qu’une photographie pour exprimer le drame ! En 1916, elle décide de suivre des cours à Paris à l’Académie Julian et en 1917 elle réussit le concours d’entrée à l’école des Beaux Arts de Paris. Elle se passionne pour la gravure dès 1919. Touché par un typhus abdominal, Jeanne Malivet s’éteint à l’âge de 31 ans, après une carrière fulgurante. Elle a été l’une des grandes rénovatrices de la gravure sur bois en Bretagne. 

Le peintre Camille Godet (1879-1966) est né à Rennes et mort à Bain-de-Bretagne en Ille-et-Vilaine. Il étudie à l’École des Beaux Arts de Rennes, puis à ceux de Paris dans les ateliers de Léon Bonnat. Il obtient un second prix de dessin en grand ornement en 1893 puis obtient tous les ans différents prix. En 1900, il interrompt ses études et travaille comme ébéniste pour le mobilier des églises de Rennes. En 1914, il obtient un poste de professeur de dessin industriel à l’école des beaux-arts de Rennes, mais la guerre éclate ! Camille Godet, qui s’engage volontairement à l’âge de 35 ans, rejoint alors le service des plans et cartes d’état-major. Il dessine des scènes de guerre. Certains de ses croquis sont édités en cartes postales, d’autres serviront après la guerre à la réalisation, par la ville de Rennes, d’une fresque en hommage aux soldats bretons tombés à l’ennemi, au panthéon de l’Hôtel de Ville de Rennes inauguré en 1922. Camille Godet est chargé de concevoir la décoration. Il réalise une frise de 26 mètres de pourtour sur 1,60 mètre de haut représentant tous les corps d’armée.

Repère : 

La 1ère Guerre Mondiale vue par les peintres en Bretagne : Édité en 2014 à l’occasion des commémorations du centenaire de 1914, cet ouvrage privilégie une approche à la fois régionale et picturale. La Première Guerre mondiale est vue à travers les œuvres et les récits de peintres actifs en Bretagne au cours du XXe siècle. L’approche est à la fois thématique et chronologique avec la montée vers la guerre, l’entrée en guerre, la mobilisation générale, jusqu’à la fin du conflit avec aussi les commémorations de l’entre-deux-guerres. Parmi les artistes figurent Mathurin Méheut, Jean-Julien Lemordant, Camille Godet, et bien d’autres français et aussi étrangers.

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Nolwenn Denis
Nolwenn Denis est correspondante de presse en Ille-et-Vilaine

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