Cabaret interdit avec l’OSB à l’opéra de Rennes, rire d’un sujet grave, malgré tout

 Ce troisième concert spectacle de l’OSB achève la trilogie consacrée au devoir de mémoire face aux horreurs perpétrées par les nazis durant la dernière guerre. C’est sous des traits plus amusants qu’est racontée la montée en puissance de la peste brune, qui va pour longtemps, défigurer le monde. Le cabaret interdit, présente avec un humour grinçant et réaliste les « musiques dégénérées », comme ne manquaient pas de les appeler les théoriciens de l’abject.

 

cabaret-interdit_osb (1)Pour le retour toujours très apprécié du chef Aurélien Azan Zielinski, était mis en scène le foisonnant Berlin des années 30, avec son inégalable créativité et son goût provocant pour la transgression. Nous retrouvons avec plaisir les grands noms de cette époque trouble, Bertolt Brecht, Kurt Weill, Hanns Eisler et d’autres encore.
C’est pourtant avec des sonorités beaucoup plus classiques que débute le spectacle sur une énergique ouverture du songe d’une nuit d’été, de Félix Mendelssohn-Bartholdy, écrite alors qu’il n’avait que 17 ans, mais interdite par les nazis puisqu’il était juif. L’orchestre symphonique de Bretagne immédiatement dans le ton en délivre une stimulante interprétation et ouvre la voie à ceux qui seront nos guides dans ce rappel historique, la pianiste, Elisa Bellanger, la chanteuse, Katja Krüger et le virevoltant narrateur, Richard Dubelski.

cabaret interditAccompagnatrice au conservatoire régional de Rennes (elle est accompagnatrice au CRR de Rennes depuis 2002 en classes de chant, instruments et danse), Elisa Bellanger est en terrain connu. Cette remarque vaut également pour la franco-allemande Katja Krüger, quant à Richard Dubelski, on se souviendra de son intervention dans l’opéra pour enfants « Brundibàr » (écrit par Adolf Hoffmeister et le compositeur tchèque-allemand Hans Krása en 1938), l’année passée, qui avait laissé une forte impression. Soucieux d’accueillir son public, comme il se doit, le cabaret ouvre ses portes avec la chanson « Willkommen, bienvenue, welcome » » de Joël Grey, familière à bien des oreilles. Suivront de divertissantes et cruelles attaques dont le sulfurique « Kälbermarsh », la marche des veaux, qui n’est pas autre chose qu’un très moqueur pastiche du Horst-Wessel-Lied, autrement dit, l’hymne du parti nazi.

Derrière le tambour voyez trotter les veaux. Pour la peau du tambour, ils fournissent leur peau. Le boucher crie : les yeux fermés !, les veaux marchent d’un pas calme et décidé. Et en esprit dans leurs rangs, ils croient voir les veaux dont a déjà coulé le sang à l’abattoir

cabaret interditInutile de dire à quel point ce genre de facétie passait mal à l’époque et pourquoi Joseph Goebbels, ministre de la propagande, se déchaîna contre ces subversifs avec d’autant plus de joie mauvaise qu’ils étaient juifs. Notre duo de chanteurs a réussi a être vraiment convainquant et a offert un spectacle de qualité. Notre petit coup de cœur ira à Richard Dubelski, mais c’est assez normal, puisqu’étant acteur de métier, il donne à ses personnages une présence et une crédibilité indiscutables. Katja Krüger, irréprochable lorsqu’elle chante en allemand est moins convaincante en français, sa langue d’adoption semble brider une certaine conviction dans sa voix. Curieuse impression, mais partagée par de nombreux membres de l’assistance échangeant à la fin du concert. Son personnage manque un peu de relief et un ou deux changements de tenues, féminines, et très « cabaret » auraient apportés une certaine densité à des interprétations par ailleurs jubilatoires et facétieuses. Mais c’est de peu d’importance et nos duettistes restent insolents et moqueurs pour notre plus grand plaisir. Comme humour et un peu de verdeur vont souvent ensemble, tous se réjouiront de la très drôle et très cruelle chanson : « Lied vom Weib des Nazi-soldaten » (Kurt Weill, 1943) où l’épouse d’un soldat nazi, reçoit de son aimé de Prague, des chaussures à talon, de Varsovie une chemise de lin, d’Oslo, un col de fourrure, de Rotterdam, un chapeau, de Bruxelles de la dentelle, de Paris une robe de soie… et de Russie, son voile de veuve pour les obsèques. Horriblement réjouissant.
classe-do_opera-rennesCertains moments n’ont pas été faciles à vivre, car lorsque Richard Dubelski campe un de ses personnages en arborant un brassard orné d’une croix gammée, c’est un sentiment de malaise qui envahit l’assistance, le symbole est connu, mais l’affronter, même du regard, 60 ans après reste douloureux et l’on se pose la question du bien-fondé d’une telle exposition. Cela ne devrait pas être le cas, car le rôle d’un artiste n’est pas de pratiquer le politiquement correct, mais d’interpeller les consciences. En cela le cabaret interdit a parfaitement atteint son objectif, nous avons ri, mais pas seulement. Toujours facétieux, Marc Feldman, administrateur général de l’OSB, nous a porté une ultime et délicieuse estocade. Une classe d’enfants de CM1 et CM2 de Pleudihen-sur-Rance, dans le cadre d’un partenariat avec l’opéra, est venue chanter en allemand, le « Kinderhymne » de Brecht sur une musique de Hanns Eisler. Ils y ont mis tout leur cœur et ont récolté une généreuse ovation qui a permis de dissimuler, dans un élan de bonne humeur, quelques pupilles embuées.
De ce concert la leçon à retenir est celle de la vigilance, les mêmes causes produisant éternellement les mêmes effets, nous devrons garder à l’esprit que malgré les coups qui lui ont été portés, le ventre de la bête immonde reste toujours fécond.

Cabaret Interdit, osb, opéra de Rennes, 22 avril 2016

Felix Mendelssohn-Bartholdy : Songe d’une nuit d’été
Joel Grey : Willkommen, Bienvenue, Welcome
Rudolf Nelson / Kurt Tucholsky : Tamerlan
Friendrich Hollaender : Raus mit den Männern aus dem Reichstag
Kurt Weill / Bertolt Brecht : Lied von Weib des Nazi-Soldaten
Hanns Eisler / Bertolt Brecht : Der Kälbermarsch
Ballade von den « Judenhure » Marie Sanders : Oh Fallada, da du hangest – ein Pferd klagt an Kinderhymne
Paul Dessau / Bertolt Brecht : Lied einer deutschen Mutter
Georges Bizet / Friedrich Hollaender : An allem sind die Juden schuld !
Hanns Eisler / Kurt Tucholsky : Rosen au den Weg gestreut
Dimitri Pokrass / Hirsch Glick : Zog Nit Keynmol – Hymne des Partisans juifs
Hanns Eisler / Bertolt Brecht : Kinderhymne

Direction : Aurélien Azan Zielinski
Narration : Richard Dubelski
Avec la compagnie Le Diable en personne :
Chant : Katja Krüger
Piano : Elisa Bellanger

Pour aller plus loin, et en partenariat avec l’Autre Lieu, la médiathèque du Rheu, l’OSB et la Cie Le Diable en Personne vous proposent une conférence sur les musiques interdites, vendredi 10 juin 2016 à 20h30. Contact et réservation auprès de la médiathèque l’Autre lieu : 02 23 42 39 60

 crédit photo : Nicolas JOUBARD

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Année scolaire 2015-2016 – Pleudihen-sur-Rance (22) – Mené par l’Orchestre Symphonique de Bretagne en partenariat avec le Concours National de la Résistance et de la Déportation, le dispositif Classe d’O proposait cette année aux écoles primaires d’aborder l’enseignement de la Shoah par le biais d’un travail éducatif musical. Des élèves de CE2-CM1 de Pleudihen-sur-Rance (Bretagne) travaillaient ainsi autour de la production du spectacle Le Cabaret Interdit, qui rend hommage aux compositeurs victimes du nazisme.

Un projet éducatif historique, artistique et mémoriel

Depuis le mois d’octobre 2015, les élèves du dispositif Classe d’O participaient à différents ateliers sur la musique et la déportation durant la Seconde Guerre mondiale. Guidés par leurs enseignants et par les artistes de l’OSB, ils ont été sensibilisés à l’histoire d’oeuvres et d’artistes victimes du nazisme, tout en découvrant le fonctionnement d’un orchestre professionnel et en s’initiant aux pratiques musicales.

Fondation pour la Mémoire de la Shoah

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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