Tracy Chevalier avait imaginé, avec son roman La jeune fille à la perle, la genèse d’une peinture iconique de Vermeer. Avec Car si l’on nous sépare Lisa Stromme, nouvelle romancière anglaise, reprend à son tour ce thème en se consacrant au plus grand peintre du nord de l’Europe, Edvard Munch, et à son chef d’œuvre, Le Cri. Efficace et séduisant.


Johanne, la narratrice, est l’intermédiaire entre deux mondes, celui du raisonnable et de la folie, celui du quotidien et de l’exceptionnel, du vécu et du ressenti. Aucun des deux ne comprend l’autre. Munch ne comprend pas « ces gens de Kristiania qui descendent ici à l’hôtel et ne savent plus quoi inventer pour passer le temps. Quel sens donnent-ils à leur vie ? » La plupart des habitants ne voient quant à eux dans la peinture « dégénérée » qu’un lointain rapport avec la réalité de la nature. La mort et sa représentation effraient. Les couleurs explosent et ce qui deviendra l’expressionnisme, privilégie l’émotion au réel. Munch atteint, quitte à défrayer la pensée traditionnelle, son but: susciter des réactions, même de rejet, qui conduiront les collègues de Johanne, à brûler ces œuvres estivales, à l’exception du « Cri » protégé miraculeusement pour pouvoir nous être transmis.
La nature est omniprésente dans le roman comme dans la peinture de Munch. Lisa Stromme, avec les mots de la chaleur de l’été, d’un orage cataclysmique et symbolique, nous donnent à la voir, à la sentir. On est immergés dans ce pays côtier à la fin du dix-neuvième siècle et l’on sent les jours qui passent, la vie qui défile dans une atmosphère qui n’est pas sans rappeler certains romans ou nouvelles de Maupassant sur la côte normande. L’auteure écrit et décrit avec des mots de couleurs, bleu comme la mer et les larmes, rouges comme le feu et la passion. « Bleu. Rouge. Rubis. Halètement. Baisers ».
En imaginant l’histoire originelle de la première des cinq versions du « Cri », l’écrivaine nous invite surtout à regarder de nouveau « (…) les longues mains pressées contre le visage squelettique, les orbites caves, le ciel rouge sang, les courbes sinueuses, nauséeuses, le mouvement de ce cri effrayant », à nous imprégner de ses couleurs, « bleu, vert, noir, rouge et jaune intense », à entendre ce « Cri » qui résonne à jamais dans l’histoire de la peinture et dans l’âme humaine.
Car si l’on nous sépare Lisa Stromme, premier roman, éditions Harper Collins, 325 pages, 19,90 €
(*) Parmi les nombreuses biographies consacrées au peintre norvégien, on pourra choisir celle écrite par Atle Naess, « Munch. Les couleurs de la névrose » publiée aux Éditions Hazan. 460 pages. 24 €. Complète, elle démontre l’importance de la présence de la mort et de la folie dans la jeunesse, puis la vie du peintre.
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Lisa Stromme est née dans le Yorkshire en 1973, et a étudié à l’Université de Strathclyde, à Glasgow. Elle vit en Norvège avec son mari et ses deux enfants non loin d’Åsgardstrånd, le petit village côtier où le peintre Edvard Munch avait l’habitude de passer ses étés. Car si l’on nous sépare est son premier roman.


