Ce qui arrive et ce qu’on attend > Une pièce remarquable dans une mise en scène à l’avenant

Le rideau se lève sur une sombre antichambre de cabinet ministériel. Ils sont deux à attendre d’être introduits : Philippe Derrien, jeune homme ambitieux, tout juste revenu de plusieurs années en Afrique, et Lebret, homme sans foi à la tête d’un cabinet d’architecture reconnu. Tous deux sont candidats au même concours, concours qui décidera quel architecte  construira le premier bâtiment sur la Lune. Une intrigue simple au premier regard ; mais le spectateur ne s’attend guère à ce qui arrive…

Sur un texte sobre de Jean-Marie Besset évoluent sept comédiens, plus ou moins expérimentés, mais tous d’un indéniable talent. Ils incarnent des personnages complexes, souvent épris de pouvoir. Certains sont recommandables, d’autres moins. Des personnages dont les relations sont évidentes, mais dont l’amour ne se déclare pas. Des personnages pudiques confrontés à des êtres qui n’ont plus rien à perdre. Certains renient leur vraie nature, d’autres  l’assument entièrement.

Servi par des acteurs sensibles et une mise en scène subtile, le texte – que dessert malheureusement un décor dépouillé d’une navrante platitude – décortique intelligemment les liens entre personnages, de manière parfois très crue, parfois délicate, mais toujours avec une dérangeante acuité. La tension dramatique est à son comble tout au long de la pièce ; les nerfs des spectateurs sont à vif. On a par moments hâte que certaines scènes se terminent : tout est trop vrai, trop réel, trop juste. Saluons le numéro de haute voltige effectué par Adrien Melin (Philippe Derrien) et Jonathan Max-Bernard (Jason Feyder) en équilibre précaire entre le pathétique et l’agaçant : ils réussissent haut la main une scène qui n’est pourtant pas des plus faciles.

Arnaud Denis, le jeune metteur en scène (qui interprète par la même occasion Nils Abbot, être particulièrement intelligent et nonchalant) s’en sort plus qu’honorablement. Avec brio même. Tout est pensé dans le moindre détail. Le jeu de lumière bleuit les silhouettes – comme des fantômes annonçant la fin ou révélant ainsi leur transparence… Et ce, sans oublier la musique, bien présente, dont la douceur pourrait calmer le cœur battant du public, mais dont les paroles l’accélèrent encore : « Closer… Closer… » Plus proche. Encore plus proche. Plus proche de quoi ? Nous suivons déjà au plus près les personnages, qui semblent nous écraser…

On en vient à se demander comment les comédiens ne sont pas engloutis par leurs rôles. Comment peuvent-ils s’empresser de saluer un sourire rayonnant aux lèvres ? Ils ont l’habitude. Pas le spectateur. Lui n’en sort pas indemne.

Minyu

Texte de Jean-Marie Besset mis en scène par Arnaud Denis. Avec Virginie Pradal, Jean-Pierre Leroux, Arnaud Denis, Blanche Leleu, Adrien Melin, Jonathan Max-Bernard, Niels Adjiman, mai 2012, 97 mn, 20€

mai 2012

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Minyu
Il y a quinze ans, je suis née ; il y a neuf ans, j’ai appris à lire ; il y a quatre ans, j’ai été pour la première fois au théâtre… Ce que j’y ai découvert a changé ma vie : le bonheur que procure un bon spectacle. Comme ce jour a aussi marqué le début de ma propre sensibilité artistique, depuis, pour apaiser mon inextinguible soif d’art dramatique, j’écris. J’essaie du mieux que je peux de donner mon avis sur les pièces que je vais voir, en espérant amener ceux qui me lisent à s’y rendre eux aussi…

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