Chimamanda Ngozi Adichie, dans son dernier roman « Americanah », donne toute sa signification à une affirmation banale, mais terrible : « La vie est plus difficile quand on a la peau noire plutôt que la peau blanche ». Elle démontre, avec talent, comment la couleur de peau conditionne les comportements aux États Unis. Et ailleurs.
Et si tout avait commencé par des cheveux crépus ? Et si tout s’expliquait dans ces salons de nattage ? Ces salons où les femmes noires se font lisser, défriser leur coiffure pour ressembler aux femmes blanches.

En débarquant de Lagos à Philadelphie, Ifemelu prend conscience pour la première fois de sa couleur de peau : « A mes camarades noirs non américains : en Amérique tu es noir chéri » » s’adresse-t-elle sur le net. S’exilant, elle a quitté son amour de jeunesse, le magnifique Obinze, attiré lui aussi par l’Amérique des livres, mais qui partira clandestinement à Londres d’où il sera expulsé menottes aux poignets vers son pays d’origine. Deux destins parallèles : durant quinze ans elle expérimentera la vie aux États Unis, sa condition d’étrangère à la peau noire et lui celle de l’immigrant clandestin, effrayé au quotidien par d’éventuels contrôles d’identité.

Sa vie partagée aujourd’hui entre la côte Est américaine et Lagos, Chimamanda Ngozi Adichie peut décrire à loisir, et avec humour, l’évolution d’une société nigériane cherchant sa voie économique et culturelle à travers le récit des soirées mondaines pontifiantes et ridicules, de Nigérians coincés entre l’Afrique et les mœurs mal digérées d’une Europe idéalisée. Féroce avec l’inégalité raciale criante des États-Unis elle n’est pas tendre non plus avec son pays d’origine maniant l’humour et l’ironie à travers des saynètes mordantes ou des portraits hilarants et percutants comme ceux de ses compatriotes africains ayant réussi à Londres, portés par un snobisme démesuré et vide. Si proches des nouveaux riches de Lagos, unis dans une même superficialité.
Ifemelu à travers toutes ces rencontres, suit ainsi son destin personnel marqué par sa couleur de peau, par sa revendication féministe, mais aussi par sa relation avec les hommes de sa vie dans une société américaine qui la séduit et la repousse à la fois. Attirée progressivement par son retour au pays natal elle cherche peut être à retrouver Obinze son amour nigérian comme un retour à ses origines, quinze ans plus tard. Ce roman est donc aussi un superbe roman d’amour au dénouement patiemment attendu.
L’amour comme la coiffure, métaphore d’un livre d’une richesse gigantesque, où chaque lecteur embrassera des vies coincées entre le noir et le blanc, l’Afrique et l’Amérique, une démocratie stable et une démocratie à construire. Entre les cheveux frisés et les cheveux lisses. Un propos multiple et universel pour un des plus grands livres de ce début d’année.
