Si pour Christos Ikonomou Le salut viendra de la mer, d’où viendra-t-il pour la littérature contemporaine ? Sans doute en creusant une éthique de la forme littéraire au service d’une manière renouvelée de dire le monde. Christos Ikonomou, journaliste et auteur grec, publie aux éditions Quidam un recueil de nouvelles qu’il consacre aux crises économiques et migratoires et, plus largement, à l’exil.
Ikonomou écrit sur l’économie. Rien d’étonnant, compte tenu de la situation économique en Europe, et particulièrement en Grèce, qu’une certaine littérature vienne s’emparer de la crise généralisée. Encore faut-il ne pas tomber dans un récit purement factuel ou bassement actuel ! Christos Ikonomou, né en 1970 à Athènes, est un journaliste qui ne tombe pas dans ce piège. Le salut viendra de la mer est son troisième recueil de nouvelles. L’auteur raconte l’histoire d’une poignée de migrants, venus d’Athènes et d’ailleurs, qui décide de créer sur une île de la mer d’Égée une micro-société. Ce qu’ils ont fui, ils le retrouvent néanmoins : l’insularité, c’est aussi le pouvoir de l’argent et l’inhospitalité.
Ikonomou rejoue, façon contemporaine, L’île des esclaves de Marivaux. Le salut viendra de la mer épouse formellement le fond de son histoire. Tout livre est une île vers où le lecteur embarque. À île-monde, récit-monde : les personnages de ces nouvelles, autochtones et allogènes, sont les marionnettes grotesques d’une utopie détraquée. Peut-on recommencer à zéro ? Une nouvelle société est-elle possible ? Le mal est-il naturel à l’homme ? Christos Ikonomou, en jouxtant le conte philosophique, revient aux questionnements premiers des Lumières.
Littérature mineure, au sens deleuzien du terme, les textes de Christos Ikonomou creusent dans la langue un second souffle. Élan verbal entre épiphanie et logorrhée, le narrateur à la première personne orchestre le flux de conscience et la polyphonie des voix qu’il enregistre. De la différence entre monologue et soliloque dépend beaucoup de choses. Qui écoutera les récits de cet exil ? Les nouvelles, liées les unes aux autres, tissent le récit honnête d’une voix sans concession, partagée entre la haine et l’espoir. La postface de Michel Volkovitch parle d’une « voix obstinée ». Ce recueil, sacré dans sa facture esthétique, est le premier d’une trilogie à venir. « Les histoires d’Ikonomou sont moins proches du documentaire que du conte et du mythe, écrit Volkovitch, chaque détail du récit, à la fois concret et symbolique, renvoie avec insistance à d’autres lieux et d’autres temps, à ce qui est de tous les temps ».
Trois fois qu’ils l’avaient prévenu. Pas une ou deux, trois. Tàssos, pauvre con, tu vas en prendre plein la gueule. On va foutre le feu à ta baraque, mon petit vieux, on va brûler tes champs. Tringler ta gonzesse, massacrer tes mômes. La troisième fois, ils l’ont ligoté sur le capot de son pickup et l’ont fait passer au lavage. Savon, brossage, séchage, toute la séquence. Une semaine à l’hosto, dents cassées, la peau ravagée par les brosses et les produits chimiques. Comme Manolios dans Le Christ ressuscité, c’était dégoûtant à voir. C’est là que Màgda est devenue dingue et s’est taillée avec les enfants, direction Athènes. Et elle l’a menacé, comme quoi s’il faisait quoi que ce soit de ce qu’il prévoyait — aller chez les flics, avertir les télés, tout déballer sur Internet —, quoi que ce soit, il ne les reverrait jamais, ni elle ni les enfants. Tàssos a dit d’accord, mais ne s’est pas écrasé. Il a continué de courir, de crier, de nous affoler tous.