Construire un feu ou quand Jules Stromboni illustre Jack London…

Jules Stromboni jack londo

Avec ce bel ouvrage, les éditions Les Étages offrent un écrin et des illustrations remarquables de Jules Stromboni à deux nouvelles de Jack London : Construire un feu et L’amour de la vie.

C’est un homme. Il est seul dans le Grand Nord. Il a froid. Il va peut être mourir de froid.

C’est un homme. Il est seul dans le Grand Nord. Il a faim. Il va peut être mourir de faim.

C’est ainsi qu’il est possible de résumer ces deux nouvelles complémentaires de Jack London. Deux textes pour un thème unique: l’homme seul dans la nature hostile menacé de mourir et qui va mettre en mouvement son corps pour survivre. Pour allumer un feu salvateur et réchauffer sa vie. Pour trouver un peu de nourriture et sauver son corps. Le fil narratif est mince mais l’immense talent de Jack London est multiple. Il nous fait d’abord ressentir ce corps en difficulté gelé progressivement par une température négative supérieure à cinquante degrés et nous donne ensuite cette impression de fringale inextinguible. Ensuite, et là est l’essentiel, il nous renvoie une description impitoyable de notre modeste condition humaine. Chaque homme poursuit sa route avec un animal, devenu l’alter ego des marcheurs. Un chien et un loup affamé deviennent presque les égaux des personnages. Les pensées humaines, l’intelligence, l’âme disparaissent pour laisser la place au seul instinct de survie et au corps. Ces bêtes sont les contre points majeurs du chasseur et de l’orpailleur: le chien a gardé l’habitude de l’obéissance, le loup a conservé sa sauvagerie primaire. L’homme et la bête se suivent, se côtoient, s’épient s’observent, se menacent. Ils sont tellement semblables. Ils ne veulent qu’une chose: vivre. À tout prix.

Construire un feu est une nouvelle connue, certainement parce qu’elle est la plus sombre. L’amour de la vie, dont on regrettera, que le titre ne figure pas en couverture ou en page de garde, mérite pourtant aussi d’être lue et illustrée. Jules Stromboni apporte sur les mots de
Jack London, les traits et les taches nécessaires. Les deux marcheurs solitaires ne sont souvent que des silhouettes qui se distinguent du loup ou du chien par la seule station debout, avant à leur tour, de rejoindre par mimétisme, le sol à quatre pattes, ou même allongé, comme un animal qui quête sa pâtée. Les visages sont flous, noyés dans une barbe semblable à un pelage. Pas d’expression ou de regard perçants. Le noir et blanc à la manière de Larcenet disent le froid et la violence des éléments. Le monde sans couleurs est réduit à ses deux faces: la vie et la mort. Les rayures, les stries blanches figurent le froid, le vent.

Jules Stromboni jack londo


Peut être parce que L’amour de la vie est un peu plus optimiste quelques couleurs apparaissent sur ses illustrations. Pas de rouge flamboyant, de vert tonitruant mais des couleurs automnales et un peu de rose, tel le sang collé à quelques os de cadavres. Les paysages deviennent parfois plus abstraits, les reflets sur l’eau glacée se mélangent, se transforment en taches informes. Comme l’homme qui a faim on cherche à distinguer les traces de la réalité et celles de l’hallucination. Les repères de la terre et du ciel disparaissent. On guette chaque parcelle des images pour tenter d’y trouver une pierre, un poisson. On pense parfois les avoir trouvés. Mais peut être pas. L’imaginaire fait le reste.

Avec cette troisième publication, au beau format à l’italienne, les Étages Éditions nichées dans le massif des Écrins, confirment leur vocation à « célébrer la montagne et les trajectoires humaines et artistiques qu’elle engage ». Inaugurée avec Rochette, ces parutions mélangent dans des éditions soignées, textes et illustrations de « haute altitude ». Elles nous donnent envie de monter là haut vers le ciel. D’y avoir froid. D’y avoir faim. Mais d’y avoir envie de vivre pleinement.

Construire un Feu. Nouvelle de Jack London. Illustrations Jules Stromboni. Éditions Les Étages. 120 pages. 29€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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