Résumé : Dans un New York en ébullition, l’ère du capitalisme touche à sa fin. Eric Packer, golden boy de la haute finance, s’engouffre dans sa limousine blanche. Alors que la visite du président des Etats-Unis paralyse Manhattan, Eric Packer n’a qu’une seule obsession : une coupe de cheveux chez son coiffeur à l’autre bout de la ville. Au fur et à mesure de la journée, le chaos s’installe, et il assiste, impuissant, à l’effondrement de son empire. Il est aussi certain qu’on va l’assassiner. Quand ? Où ? Il s’apprête à vivre les 24 heures les plus importantes de sa vie.
Cronenberg–Delilo, Cosmopolis : une expérience ! Physique ! Qui touche l’âme et le corps, c’est-à-dire ce composé nommé que l’on nomme la chair, sarx en grec et bazar en hébreu. Et c’est un sacré grand bazar que ce film. « Un bazar trop bavard » pour certains. Si la plupart d’entre nous attendons d’un film qu’il nous embarque dans les pas du héros, comment diable avoir envie de suivre Eric Michael Packer, l’insupportable archétype des maîtres de l’hyperclasse… ? (par Thierry Jolif)
Certes, le film est bavard. Mais il faut passer outre. Accepter que le personnages n’existent que par les discours qu’ils tiennent. Puis prendre conscience de la dichotomie entre bavardage et décalage de la raison supra-rationnelle du héros comme du monde qui l’entoure et dont il se moque puisqu’il en est l’un des créateurs… C’est pour cette raison que son corps l’inquiète, le fascine et il lui faut toujours plus de sensations, toujours plus fortes…
Le montage et le rythme narratif font bien ressortir ce décalage entre le monde tel qu’il va, tel qu’il est pensé à travers tous les Eric Michael Packer et la vie bio-machinique des ces maîtres invisibles. Le langage technicisé des élites, à la fois intensément peopolisées et purement anonyme, évide le monde, le décrée et le refait à son rythme (le rythme de la limousine-machine). Rythme qui se fait de moins en moins entendre à mesure qu’il s’accélère et augmente son emprise. C’est aussi le rythme accéléré qui s’empare du golden boy, lequel prend goût à la chute jusqu’à s’y perdre. Il comprend, trop tard, que son destin n’a pas moins d’importance que celui de tous ces anonymes qui travaillent pour lui.
Cronenberg donne vraiment à voir toute l’inversion de ce mouvement hégémonique. Le monde décrée se retourne contre un pouvoir invisible et presque impensé. Il le désagrège avec toute la violence dont il est capable, dont il est coupable en même temps que victime consentante. Alors tout s’annule, tout s’annihile.
Ce sont deux modes de réalité qui se juxtaposent en permanence, sans jamais se rencontrer vraiment. La limousine avance, le Complexe (centre de décision anonyme et invisible) transmet ordres et conseils par le biais d’hommes presque robotisés qui font l’interface entre les deux modes de réalités.
Le film reflète parfaitement donc cette volonté de contrôle rationnel jusqu’à l’absurde. Les génies du langage technique financiarisé vont jusqu’à envisager un « canular » (le rat comme unité monétaire) comme techniquement et réellement envisageable. L’absurde, le clownesque, avec sa violence propre, devient le seul lieu de rencontre possible, avec toutes ces absurdes conséquences (le rappeur qui pleure avec Packer en lui annonçant la mort d’un musicien, l’entartage d’Eric Packer, l’aspect grotesque de l’assassin, les dialogues décousus entre lui et Packer). La « voix méconnue du réel » n’emprunte aucun discours, aucun langage. Son irruption dans la fiction de vies soumise à un langage technicisé prend alors la forme d’une illumination. Mais d’une illumination sans appui, sans fondement, sans ancrage métaphysique. Dès lors, elle s’avère obscure, très dure, destructrice !
Si Cosmopolis est particulièrement réussi, c’est que tous les éléments concordent et sont maîtrisés pour conduire le spectateur vers cette vision. C’est l’alliance millimétrée du jeu des acteurs, de la lumière, des cadres, du montage et de la remarquable bande-son qui fait habiter ce « road-movie » quasi statique. Mais, surtout, Cosmopolis démontre que Cronenberg a intégré la différence fondamentale entre écritures romanesque et cinématographique. De nombreux critiques avaient pointés le caractère obscur du roman de Don Delillo paru en 2003. Cronenberg n’a pas trahi l’ouvrage. Il l’a incarné. C’est authentiquement un film à sensations. Ce sont les sensations qui mène le spectateur à la compréhension.
Par la vision sensible, le réalisateur nous conduit à une vision intellectuelle. C’est un talent admirable que Cronenberg partage avec Tarkovsky, Sokourov, Malick, voire Kaurismäki, mais, dans son cas et ce cas, en donnant à contempler de la parole.
Ice. Un nouveau film de Cronenberg reste toujours un évènement pour une frange de cinéphiles. Pour ma part, j’ai toujours eu du mal avec ce cinéaste qui m’interpelle plus par les sujets de ses films que par la mise en scène souvent lente et pesante. Reconnaissons lui le fait d’avoir son style. Alors, Cosmopolis est-il plus proche d’un Existenz ou d’un Dead zone ou La Mouche ?
L’histoire a tout pour attirer le spectateur : Eric Packer, vingt-huit ans, multi-milliardaire de Wall Street, se rend chez le coiffeur en limousine le jour d’une visite présidentielle à Manhattan à New York et de l’enterrement d’une star du rap soufie. Il voit peu à peu son “monde” se détruire.
Le déroulement est très conforme au style Cronenberg : un quasi huis clos froid et lent dans une limousine futuriste, des plans contemplatifs d’un manhattan en pleine émeute, des suites de dialogues dont on a des difficultés à trouver le lien. Ajoutons cependant que le livre dont est issu le film comprenait ces même dialogues repris presque mot pour mot. Mais Cronenberg s’attaque sans complexe à l’oeuvre que beaucoup jugeaient inadaptable. Si le film risque de faire fuir des spectateurs, on peut y voir un rapprochement avec son collègue David Lynch dans cette succession de plans à la compréhension ésotérique, entre rêve et réalité.
De héros il n’y a point si ce n’est le monde en décomposition. Packer est détestable et Pattinson est excellent dans ce rôle très loin de l’image du médiocre Twillight. Cronenberg a le bon goût de lui laisser tenir ce film mais développe aussi toute une galerie de personnages avec des acteurs que l’on prend plaisir à revoir. Juliette Binoche y est une amante inattendue tandis que l’on retrouve Paul Giamatti dans un des autres rôles clé du film ou encore l’impressionnant Kevin Durand qui n’est pas sans rappeler Christopher Walken. Le film n’est donc pas raté loin de là mais laisse un goût étrange chez le spectateur : On sort soit très déçu ou soit avec l’envie de le revoir pour mieux le comprendre. Pour une fois, je serai de ce dernier avis. Difficile de parler du film sans trop en dévoiler et il prend toute sa saveur par les surprises qu’il délivre.
Cronenberg n’atteint pas des sommets ici mais revient en grace, une grace qu’il semblait avoir déjà retrouvé avec A Dangerous Method si j’en crois des ‘collègues’ Le genre de film à voir en groupe, bien éveillé pour pouvoir en discuter, en débattre.
Ce film est assez incroyable et ceci à plusieurs niveaux et sur plusieurs profondeurs. Incroyable pour sa forme déjà. Cette façon si particulière de filmer son héros à l’intérieur de sa limousine. Incroyable de voir ce héros magnifiquement interprété par un Robert Pattinson qui démontre qu’il est beaucoup plus fort que son rôle dans TWILIGHT. Incroyable de vivre dans cette atmosphère tout au long de notre œuvre. Incroyable cette façon de critiquer notre système capitalise. Mais le plus incroyable étant évidemment la beauté littéraire des dialogues de notre film. (David Norgeot)
Certains pourront prendre cela pour du bavardage mais le piège est facile puisque, en vérité, il n’en est rien. Ce film est évidemment une démonstration ce qu’est notre époque et Cronenberg est un photographe divin. L’acidité et la noirceur sont très bien dessinées.
L’incandescence de ces sentiments galvanise absolument tous les spectateurs assis devant le grand écran. La mise en scène ultra simpliste étant évidemment une des raisons qui permet cette fulgurance. Comme quoi l’inventivité permettra toujours de repousser les limites les plus hautes.
Il faut dire que quand le réflexif se mélange à du charnel, on obtient un mélange explosif.
Mais ce mélange est totalement unique puisqu’il ne ressemble à rien de ce qui existe déjà.
Un film pas simple à appréhender pour son spectateur mais si ce dernier réussit à pénétrer dans l’œuvre alors il passera un moment rare, délicat et enivrant et si par malheur il n’y arrive pas, ben il suffira de sortir de la salle afin de profiter du soleil.
A vous de choisir votre camp donc, le mien a été celui de la conquête.
25 mai 2012 (1h 48min)
Réalisé par
David Cronenberg
Avec
Robert Pattinson, Juliette Binoche, Sarah Gadon
Genre
Drame
Nationalité
Français, canadien