La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle furent une période de grands progrès scientifiques et techniques annonciateurs de l’époque actuelle. La plupart de ces avancées, en particulier dans le domaine de la Médecine servirent l’humanité tandis que d’autres l’accablèrent. Certains de ces progrès concernèrent l’électricité et ses applications médicales. Dalibor Frioux nous livre, dans Vies électriques, un double récit palpitant de la vie de deux médecins, Hans Berger et Zénon Drohocki, dont les destins s’entrecroiseront à peine. Vies électriques… vies pathétiques.
Le premier est Hans Berger (1873-1941) devenu médecin et neurophysiologiste pour prouver l’existence du phénomène télépathique : par un curieux hasard dont la Science a le secret il échouera dans son dessein mais mettra en évidence les ondes produites par l’activité cérébrale, phénomène qui constitue la base aujourd’hui de l’Electroencéphalogramme soit en forme raccourci l’EEG, technique électrophysiologique qui reste toujours d’actualité dans certaines pathologies neurologiques dont les comas et l’épilepsie ou encore l’autisme. Toutes ses recherches se déroulent dans l’Allemagne vaincue et revancharde des années 20-30…Même si Hans Berger, enfermé dans sa quête et tenu en peu d’estime par ses confrères feint de ne pas s’intéresser aux évènements politiques alors que son entourage fraie ouvertement avec les nazis. Sa découverte sera reconnue tardivement et sa mise à la retraite de ll’université sans autre forme de procès. L’entrée en guerre des nations européennes aura pour conséquence la suspension de l’attribution des prix Nobel dont celui de Médecine qu’il aurait sans doute mérité…
Le second est un autre neurologue Zénon Drohocki (1903-1978), juif polonais de naissance et comte de son état : Il étudia la médecine à Cracovie puis migra à Paris et devint un chercheur de haut niveau au Collège de France, il appliqua ses connaissances mathématiques à l’analyse du signal électrique qu’a enregistré Hans Berger. Une brève rencontre sans aménité particulière lors d’un Congrès médical à Paris sera leur seule approche : Hans Berger demeure enfermé dans sa quête… Tentant de fuir la France, Zénon Drohocki et sa femme sont arrêtés à la Frontière suisse par les Allemands en 1943 et déportés à Auschwitz-Birkenau. Par une série il arrivera à conserver le fruit de ses recherches et intègrera d’abord comme patient puis comme infirmier et enfin comme médecin la tristement célèbre antichambre de Birkenau dont le but n’est que la remise en capacité provisoire de travailleurs destinés à mourir soit d’épuisement soit par le gaz…
Interpellé par la grande souffrance morale de certains(e)s détenues, lui qui était avant tout un chercheur, bricola avec un ingénieur polonais et du matériel récupéré sur des épaves d’avions alliés un appareil à électrochoc… qui servit même à administrer un ersatz d’anesthésie pour certaines interventions chirurgicales…
Si cette prise en charge de prisonniers, traités comme du bétail, permit à cette équipe de survivre dans la mesure où eux- mêmes apparaissaient utiles aux SS on comprend bien tout le débat moral que constitue leur intervention sur la « crête » qui sépare l’utile du nuisible…
Parfois le comique et le délirant surgit dans l’intellect des nazis qui rêvent, en précurseurs du Dr Septimus de Blake et Mortimer, d’inverser le processus électrique et de produire des ondes capables d’influencer les pilotes alliés : ce ne fut pas hélas le seul projet sorti de l’imaginaire fantasmatique des Nazis …( cf Le Matin des magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier)
Très bien construit, alternant les périodes de vies des deux personnages, avec une écriture fluide, le livre de Dalibor Frioux est tout simplement passionnant.
Vies électriques… vies pathétiques de Dalibor Frioux aux Editions Grasset, 23 euros.