Le député Claude Bartolone a dirigé les auditions du rapport parlementaire consacré aux emprunts et produits structurés contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales. Alors que certains spécialistes prévoyaient autour de 10 milliards de pertes, on parle désormais du double. Une coquette addition susceptible d’être encore vue et revue… à la hausse.
Emprunts irraisonnables, irresponsables, toxiques, voire létaux – tout le monde a compris (à moins d’être sourd) que ce type de prêts était pourri. Mais qui est responsable : les banques (Dexia notamment), les traders, les États, les hauts fonctionnaires, les fonctionnaires territoriaux, les grands argentiers des collectivités locales et nationales (confère l’exemple de Saint Étienne) ? Sauve qui peut : tous s’emploient à se dédouaner.
Rappelons d’emblée que c’est l’une des caractéristiques de la société occidentale en crise, en particulier des pays méridionaux de l’Europe, de renforcer la responsabilité individuelle et de laisser prospérer un flou global, peu artistique, propice à une impunité des grandes instances de gestion. Mais venons-en aux prêts dits « toxiques », notamment les sommes rondelettes consenties par certaines banques aux collectivités locales et aux acteurs hospitaliers et sociaux.
Sans se risquer à en donner une définition précise (le peut-on d’ailleurs ?), on dira que ces prêts ont la particularité d’être adossés sur des produits dérivés et des monnaies étrangères. En pratique, ils ont fait perdre beaucoup de pouvoir d’achat aux collectivités après leur en avoir fait gagner beaucoup. En outre, ils ont été longtemps fort utiles en raison de leur facilité d’obtention : des municipalités ont ainsi pu en contracter à des moments clés de leur vie budgétaire et élective… Hélas, quand le château de cartes s’effondre, les arriérés déferlent comme un tsunami. Et voilà que les maires se trouvent bien dans l’embarras.
Que faire ? Vite une idée. La première, c’est celle précédemment évoquée : la dilution de la responsabilité dans un flou général systémique. La seconde, qui s’accommode de la première : reporter la responsabilité sur l’autre. L’autre, c’est qui ? Là encore, personne ne le sait, mais tout le monde sait qu’il a le dos large. Cet autre, c’est l’avatar qui réunit les spécialistes financiers internes des collectivités aux cabinets de conseil en passant par les banques et les différentes instances de l’État.
Que font alors les maires contre cet avatar ? Réponse : une multiplication des procédures grâce auxquelles les collectivités vont essayer de faire payer les banques et s’affranchir de leur responsabilité. De leur côté, les banques vont raffiner la nécessité de s’en tenir au droit contractuel le plus strict pour empêcher toute dérive passionnelle d’autant plus risquée en temps de crise. Quel sera le résultat ? Au cas par cas. C’est la magistrature qui peut pleurer : alors que les tribunaux de proximité sont déjà engorgés par une myriade de petites procédures, notamment avec les FAI téléphonie/internet, les TGI vont avoir du pain sur la planche. Quant au tribunal administratif, où l’État est à la fois partie et juge, comme l’écrit Sylvain Hul « la question du respect du principe de l’impartialité par le juge administratif est souvent affaire de conscience et de circonstances ».
Au demeurant, soyez-en bien sûr, administrés de collectivités locales, que votre maire perde sa procédure ou non, c’est vous qui allez régler les frais de justice et voir vos impôts exploser. Dans tous les cas, ce sont les impôts locaux et nationaux qui vont servir à payer les multiples procédures entamées par nombre de responsables qui n’assument pas leurs responsabilités.
Bien sûr, celui qui oserait suggérer qu’il serait temps que les élus et les patrons d’entreprises publiques soient d’une manière ou d’une autre responsables à titre individuel de leurs erreurs de jugement – y compris, dans certains cas extrêmes, sur leurs deniers personnels – celui-là serait taxé soit de populiste, soit d’ultralibéral. Des parachutes dorés aux parachutes plombés, il semble pourtant urgent non seulement de réformer le cadre de financement des collectivités mais également de réformer le statut de la responsabilité des élus et des institutions.
Nicolas Roberti