Expo Cartier Bresson au Centre Pompidou, Plus à lire qu’à voir…

À l’ouverture de l’exposition du Centre Georges Pompidou, Unidivers vous avait présenté la réédition du Hors Série de Télérama consacré au plus grand photographe du XXe siècle (voir l’article). À quelques jours de la fermeture de la manifestation (le 9 juin), retour sur le catalogue de l’évènement qui vous fera (presque) oublié une visite (peut-être) ratée.

Henri Cartier Bresson, ou Henri Cartier, quand celui-ci voulut banaliser son patronyme familial alors qu’il s’engageait politiquement, ou encore HCB, fait partie de notre patrimoine culturel. Les prix record atteints pour ses tirages et la création de sa fondation témoignent du caractère légendaire du photographe du XXe siècle. Pour beaucoup, quelques repères balisent cette légende. Le Leica, d’abord, prolongement naturel de son bras, appareil photo qu’il a contribué à rendre légendaire est devenu mythique chez toute une génération de photographes. Le fameux liseré noir, ensuite, garantie (?) d’une absence totale de recadrage a été associé à son exigence de viser juste, sans trucage, en une seule fois, pour saisir le fameux « instant décisif ». Sa détestation d’être photographié et le peu d’interviews accordés ont également accentué le mythe. Mais la complexité de ses photos, à l’instar de leur diversité, a trop souvent été simplifiée par des formules comme celle du « Nombre d’Or » ou celle « de l’instant décisif ».

S’écartant de ces clichés, dont la plupart sont cependant exacts, mais réducteurs, l’idée unique de l’exposition et de son catalogue est d’aller au-delà de ces analyses simplistes et démontrer qu’il n’y a pas un Cartier Bresson, mais plusieurs Bresson. L’approche est cette fois-ci chronologique. Elle commence par des débuts liés au surréalisme et à la peinture avant un engagement politique fort. Puis, après guerre, une carrière de photo reporter exceptionnelle avant l’assagissement vers une photographie contemplative et l’abandon total de la prise de vue pour revenir au dessin et boucler la boucle d’une vie. Clément Chéroux, commissaire de l’exposition et auteur du catalogue, précise ainsi sa démarche : « beaucoup d’exégètes ont négligé son passé pour ne considérer que le génie du grand artiste ». Procédé basique en apparence, mais très efficace.

Henri Cartier-BressonSon texte est d’une simplicité et d’une clarté exemplaire, le plus complet et le plus convaincant des nombreuses exégèses consacrées au photographe. Chaque période est analysée et expliquée par rapport à des constantes facilement identifiables selon la période (le cadre formel repéré dans l’attente d’un événement décisif pour les débuts marqués par le surréalisme par exemple) et à quelques thèmes récurrents (la foule, la consommation, les manifestations) qui traversent toute l’œuvre. Chaque photo d’HCB, après lecture de l’ouvrage ou visite de l’exposition, peut être datée avec certitude et comprise aisément au regard des grilles d’analyse fournies.

Ainsi décomposée, l’œuvre nous révèle alors sa force et son originalité. D’abord, l’extrême rigueur et la volonté d’éviter au maximum les « compromissions » même si comme le révèle le très intéressant recueil d’interviews publié simultanément « Voir est un tout », quelques contradictions mineures apparaissent (quant à l’utilisation du flash, de la couleur ou de petits téléobjectifs par ailleurs). Cette rigueur et cette envie même non exprimée de construire une œuvre se concrétiseront par son départ de l’agence Magnum, acte symbolique marquant sa différence avec le photoreportage au quotidien, qu’il pratiqua pourtant, et sa volonté artistique et plasticienne supérieure. « (…) Pour moi, le contenu ne peut se détacher de la forme » écrit-il ainsi dans « Images à la sauvette » pratiquement le seul texte de commentaires qu’il accepta d’écrire.

Rigueur donc et rôle central de l’homme ensuite. Même s’il était un grand admirateur de Weston, il précise ainsi : « moi je m’occupe presque uniquement de l’homme. Je vais au plus pressé. Les paysages ont l’éternité ». Un homme qu’il aborde à pas de loup, avec respect et discrétion, car comme il aime à le dire fréquemment « on ne fouette pas l’eau avant de pêcher ».

Enfin la volonté de saisir ce fameux instant décisif, le « tir » selon l’expression de Clément Chéroux, celui où la forme et le fond se mettent en place, le temps d’une fraction de seconde. Cet instant qui crée chez le photographe une tension extrême car, se refusant à mitrailler, il sait que le moment de grâce à saisir ne reviendra pas, énorme différence avec la peinture qu’il aime tant.

Le texte du catalogue, fidèle à l’exposition, est donc l’essentiel. La visite au centre Georges Pompidou vous permettra en complément de découvrir, dans des extraits de quelques secondes, la figuration du photographe dans des films de Renoir, et surtout quelques images fugitives montrant la véritable danse que pratiquait le photographe normand autour de son sujet. L’autre intérêt essentiel de la visite sera de pouvoir contempler quelques pages des journaux où furent publiées quelques photos qui deviendront célèbres. À regarder ces magazines, on comprend l’exaspération de Cartier Bresson à travailler pour la presse tant la mise en page, qui ressemble plus souvent à un collage enfantin, détruit tout le travail de cadrage de la prise de vue. Quant à la qualité des tirages exposés (sans liseré noir !), la volonté du commissaire de l’exposition était de présenter des tirages d’époque (pour la plupart de la fin des années quarante) et leur valeur n’est pas exceptionnelle. Un seul tirage est postérieur à l’année 2000 (les funérailles shinto de l’acteur Kabuki Danjuro) et son rendu remarquable le différencie des autres photos exposées. Même si HCB refusait toute valorisation sous l’agrandisseur, et souhaitait retrouver sur le papier la lumière d’origine, les monographies de chez Delpire notamment, sont largement supérieures à l’exposition et aux reproductions du livre où la grisaille domine.

L’exposition va donc très bientôt fermer ses portes, mais n’ayez pas trop de regrets si vous n’avez pu faire le déplacement. Les deux livres de l’exposition combleront facilement le vide en évitant plus d’une heure de file d’attente. Ils constituent une référence à laquelle vous reviendrez souvent. Assis tranquillement dans votre fauteuil.

« Henri Cartier Bresson », catalogue de l’exposition. Éditions Centre Georges Pompidou, 50 euros.

« Voir est un tout » : recueil d’interviews la plupart inédites. Éditions Centre Georges Pompidou, 20 euros.

Visuels © Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos. Courtesy Fondation Henri Cartier-Bresson

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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