La collective Girlxcott, née dans le sillage du mouvement de girlcott autour d’Angoulême 2026, lance les Fêtes interconnectées de la BD. Plusieurs villes accueilleront cette manifestation autogérée du 28 janvier au 2 février 2026, en écho aux dates initialement prévues pour le Festival international de la bande dessinée (FIBD), programmé du 29 janvier au 1er février 2026 avant son annulation.
« Mais c’est où ? » Au milieu d’une population de petits vers verts qui se baladent et discutent, l’un d’entre eux s’interroge. La réponse se lit dans la liste de villes qui parsèment l’affiche : Toulouse, Lyon, Nantes, Paris, Bordeaux… Et si l’on prête bien attention, en bas à droite, un vers rose rampe et grogne — reliquat, peut-être, d’un temps passé et déjà révolu. Signée Anouk Ricard, Grand Prix 2025 du festival d’Angoulême, l’illustration annonce un nouvel événement, joyeux et fédérateur, qui revendique la bienveillance et l’inclusivité comme conditions d’accueil. L’autrice a aussi été l’une des figures du mouvement de boycott de l’édition 2026, au cœur d’une crise qui a fini par faire dérailler l’événement.

Après l’annulation d’Angoulême 2026, un autre rendez-vous s’invente
Le point de bascule, c’est l’annulation officielle de l’édition 2026, annoncée le 1er décembre 2025. Depuis des mois, le festival était pris dans une succession de controverses et de ruptures : appels au boycott, retraits d’auteur·rices, prises de distance d’éditeur·rices, tensions avec les financeurs publics, débats sur la gouvernance et la transparence. Au cœur de la crise, la société 9e Art+ — organisatrice du FIBD depuis 2007 — a été visée par des accusations et récits publics portant sur le climat de travail, la gestion et des choix jugés trop commerciaux.
Sur ce dernier point, il faut tenir ensemble deux réalités : d’un côté, une contestation structurée et largement documentée, dont un texte collectif a été un marqueur important ; de l’autre, des réponses et contestations de la part de 9e Art+, qui impute la situation aux tensions avec les financeurs publics et évoque des ingérences, ainsi qu’un possible bras de fer juridique. Ce n’est pas qu’un “scandale” : c’est un conflit de gouvernance, de légitimité et de modèle culturel, dont les auteur·rices ont été l’un des moteurs les plus visibles.
En novembre, 285 autrices et autres professionnelles de la bande dessinée, toutes générations confondues, ont ainsi signé une tribune publiée dans l’Humanité expliquant pourquoi elles n’iraient pas à l’édition 2026. Le texte insiste notamment sur l’invisibilisation historique des femmes et des minorités de genre dans le champ de la BD et remet les violences sexistes et sexuelles au centre des préoccupations, y compris dans ce qui se joue “en marge” des festivals.
C’est dans ce contexte qu’est née la collective Girlxcott : un néologisme militant (le « x » revendiqué comme marque d’inclusivité), et un groupe d’abord formé sur WhatsApp, devenu mouvement et réseau. Le projet : ne pas seulement “refuser” un cadre jugé délétère, mais proposer un autre type de rassemblement.

Les Fêtes interconnectées de la BD : un réseau, pas un “mini-Angoulême”
Le réseau des Fêtes interconnectées de la bande dessinée se présente comme un événement bénévole et autogéré, organisé dans plusieurs villes, qui ne se définit pas comme un festival. L’idée n’est pas de reproduire la mécanique d’un grand rendez-vous centralisé, mais de relier des initiatives locales (expositions, rencontres, discussions, moments conviviaux), autour d’un socle de valeurs : lutte contre les violences sexistes et sexuelles, attention aux discriminations, féminisme, précarité des artistes-auteur·rices, et plus largement conditions de production de la BD.
La manifestation annonce des espaces joyeux et inclusifs dans une dizaine de villes (et au-delà). Chaque fête est autonome, façonnée par celles et ceux qui souhaitent lui donner vie, tout en s’inscrivant dans un cadre commun :
« Ce qui relie ces fêtes entre elles, c’est l’envie de renouveler nos façons de célébrer la BD, de valoriser celles et ceux qui la créent, la lisent et la font vivre, et de porter des valeurs communes d’inclusivité, de bienveillance et de justice sociale. »
Accessibilité, soin, et refus de la “pression” habituelle
Dans les textes publics de Girlxcott, un point revient : la volonté de ne pas reproduire les schémas dénoncés (domination, surexploitation, invisibilisation des métiers “du dessous”, injonctions à produire et vendre sans filet). L’attention au soin est formulée très concrètement : respect des lieux, des œuvres, des personnes qui travaillent (ménage, cuisine, organisation), des intervenant·es, des bénévoles, du public — et même du “vivant” au sens large, avec une vigilance écologique revendiquée.
Tous les événements sont annoncés gratuits (lieux d’exposition, rencontres, soirées). Des contributions volontaires peuvent être proposées pour soutenir artistes, lieux et équipes, mais les financements ou partenariats qui contrediraient les valeurs du mouvement sont refusés.
Autre choix éditorial : rendre visibles tous les métiers de la bande dessinée, sans hiérarchie symbolique — scénaristes, traducteur·rices, coloristes, maquettistes, libraires, éditeur·rices, dessinateur·rices, critiques, journalistes… Bref : la BD non comme “star-system”, mais comme chaîne de travail et de transmission.

Une fête politique, au sens plein
Un point d’information par ville (ou par groupe d’événements) est annoncé pour des syndicats et associations défendant les droits des artistes-auteur·rices : STAA CNT-SO, SNAP CGT, Ligue des auteurs professionnels, Charte des auteurs et des illustrateurs de jeunesse, ABDIL, SCAA, etc. L’idée est de faire circuler les outils, les contacts, les ressources — et de rappeler que la BD est aussi un secteur où le droit social, les statuts et la rémunération restent des sujets brûlants.
Les équipes locales sont encouragées à organiser des discussions et tables rondes sur des thématiques explicites : VHSS, racisme, LGBTphobies, précarité, mais aussi IA (dangers pour les métiers, usages dans l’édition) et défense du droit d’auteur. On n’est pas dans une “animation culturelle” hors-sol : c’est une fête qui assume de tenir la BD au plus près de ses rapports sociaux.
Un événement, et un livre à venir : Nos Angoulêmes
Parallèlement, trente-neuf membres du mouvement participent à la réalisation d’un ouvrage collectif : Nos Angoulêmes. Il s’agira de récits mêlant souvenirs personnels, anecdotes et éléments plus politiques sur les conditions de travail d’artiste-auteur·rice. Une campagne de crowdfunding est ouverte jusqu’à fin janvier 2026 ; la sortie est annoncée début 2027 (environ 130 pages).


Carte & infos : Fêtes interconnectées (Girlxcott)
Instagram Girlxcott
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