Le Fils du père de Victor Del Arbol. Tentaculaire et prodigieux

victor del arbol
© Yannick Coupannec

Victor del Arbol, dans Le Fils du père, raconte encore et toujours le destin violent d’une famille espagnole traversant l’histoire de son pays. Quand les bourreaux deviennent victimes et inversement. Noir et bouleversant. Magnifique.

La couverture est sombre, entourée d’un liseré rouge, identifiant aisément la collection « Actes noirs », d’Actes Sud, remarquable série de polars où s’illustrent notamment Javier Cercas, Lars Kepler ou Camilla Läckberg. Pourtant, après la lecture de cet exceptionnel roman, on a envie de le classer plutôt dans les romans noirs, sombres, qui vont bien au-delà d’une intrigue policière inexistante. Victor del Arbol nous avait conquis en 2011 avec son premier roman traduit en français La Tristesse du samouraï, succès mondial, dans lequel l’écrivain espagnol, sur fond de franquisme, démontrait combien les secrets familiaux du passé pouvaient conditionner et emprisonner dans leurs vies des hommes et des femmes d’aujourd’hui.

Passé, secret, famille, on trouve les mêmes mots clés dans Le Fils du père, dont le titre dévoile déjà une partie du livre. Il s’agit bien au cours de ces 350 pages addictives et denses, de remonter l’histoire d’une famille. Du fils vers le père, mais aussi du père vers le grand-père. Trois hommes violents, trois hommes qui utilisent leurs mains, leurs armes, leurs mots pour anéantir ceux qui les entourent. De nouveau on remonte en 1936, à la confrontation des anarchistes avec les futurs phalangistes, des riches propriétaires terriens avec les pauvres paysans. Sur le front russe, dans la division Azul, le grand-père deviendra meurtrier. Le fils partira à son tour dans la Légion étrangère du Sahara occidental et couvrira ses mains de sang. Le petit fils, enseignant à l’université semble, par son métier, pouvoir échapper à la malédiction des assassins. Il semble, car dès les premières lignes, aucun doute n’est permis : Diego, c’est son nom, a tué un homme de deux balles dans la tête. 

« La grand-mère Alma Virtudes me disait que les hommes de cette famille sont infectés par le virus du malheur et de l’autodestruction »

Peut-on s’extraire d’une malédiction familiale ? De carences affectives qui se perpétuent de génération en génération ? Victor del Arbol pose entre les lignes ces thématiques que sous-tendent ses romans. C’est un poison qui s’infiltre, ici, celui fondateur d’un oncle qui va se rebeller contre l’ordre établi, symbolisé par une puissante famille propriétaire terrienne, avant de succomber sous les coups de la vengeance. Une violence extrême comme point de départ d’une déflagration qui va atteindre trois générations. 

L’auteur fait preuve comme à son habitude d’une technique diabolique, utilisant à merveille les flash-backs pour construire un gigantesque puzzle de sang que le lecteur reconstruit chapitre après chapitre. Parfois les trois hommes semblent ne faire qu’un, tant leurs comportements les unissent dans une violence, dont on se demande parfois si elle n’est pas génétique. Et il faut placer dans cette construction des femmes, parfois victimes, mais capables aussi d’être bourreaux. 

« S’aimer, se pardonner, oublier. Voilà le rôle de la famille », des verbes que la famille de Diego a bien du mal à s’approprier tant les carences affectives transforment les êtres ordinaires en bourreaux sanguinaires. La grande histoire n’est pas absente et comme dans La tristesse du samouraï, les pages sur le front russe sont d’une noirceur terrifiante. Des horreurs, sources de névroses et de souffrances pour le grand-père, comme l’est le franquisme évoqué en toile de fond pour la société à venir.

À la lecture de ce livre noir, le lecteur ne raisonne pourtant plus en noir et blanc, en bien et mal. Une ultime révélation dira combien ce que l’on croit être la vérité sur laquelle on fonde son jugement peut être un mensonge. Tout est beaucoup plus complexe que les apparences, que la vision enfantine d’un univers d’adultes brinquebalant. 

Le Fils du père est un incroyable roman qui pose la question de la lignée, de l’héritage et de la difficulté, ou l’impossibilité, d’en sortir. Intense roman historique, psychologique, philosophique, il fait trembler le sol en mélangeant bourreaux et victimes, parents et enfants, hommes et femmes, dans une même humanité en peine d’amour.

le fils du père

Le fils du père de Victor del Arbol. Traduit de l’espagnol par Emilie Fernandez et Claude Breton. Editions Actes Sud. Collection « Actes noirs ». 368 pages. 23 €. Parution le 6 septembre.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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