Film Ave César, ceux qui vont regarder les frères Coen te saluent !

Ave César, le dernier film des frères Coen, vient de sortir dans les salles. Leur précédent opus, Inside Llewyn Davis, avait remporté le Grand Prix du Festival de Cannes 2013. Les réalisateurs reviennent cette année vers la comédie. Une sorte de péplum biblique et parodique qui mérite… des lauriers !cinéma film critique

 

Avec le superbe Inside Llewyn Davis, les frères Coen avaient mis la barre très haut. Bien sûr, Ave César se joue sur le registre de la comédie. Mais leur filmographie, depuis les années 80, décline surtout un grand thème : celui du loser magnifique, incarné par Larry Gopnik dans A Serious man ou le Dude dans The Big Lebowski.

ave cesar coenL’intrigue de ce nouveau film ? Hollywood, les années 50. Eddie Mannix (qui a réellement existé) est fixeur pour un studio de cinéma, c’est-à-dire qu’il règle les problèmes des stars. Sur le tournage d’un péplum biblique, Hail Caesar, a tale of the Christ, la vedette principale Baird Whitlock est kidnappée.On l’a compris, cette nouvelle comédie retrouve le caractère décalé de la filmographie des frères Coen. La direction artistique s’avère brillante : Georges Clooney renoue avec cette stupide candeur de Burn after reading ou O’ Brother, Josh Brolin s’axe parfaitement sur le ton de la parodie. La préciosité de Ralph Fiennes est excise, l’étonnante rudesse de Scarlett Johansson hilarante.

La nave cesar coenarration alternée, du fait de la mise en abyme des films dans le film, peut confondre le spectateur. Inside Llewyn Davis, au contraire, nous avait habitués à une splendide narration en boucle, simple et limpide. Ave César tient presque du film à sketchs. S’il est une satire de l’industrie du rêve, il est avant tout un hommage à Hollywood et à l’ensemble de ses genres cinématographiques, de la comédie musicale au western, en passant par le film noir. Le résultat donne des scènes d’anthologie. Pensons à ces scénaristes communistes qui, pour faire valoir leur droit d’auteur, parlent dialectique, fin de l’histoire et praxis. Ou à cette querelle théologique entre Eddie Mannix et les représentants des confessions monothéistes sur la représentation de Dieu dans le péplum biblique… Hilarant !

Au-delà de l’humour, les frères Coen glissent ici ou là quelques clés d’interprétation sur leur esthétique. Quand Hobie Doyle – un ancien cascadeur devenu acteur – peine à prononcer une seule réplique – « Would that it were so simple », – le message est clair : il est difficile de faire simple. Plus qu’une comédie, Ave César est une parodie ; donc se joue à côté, en marge de films préexistants.

ave cesar coenBien entendu, on retourne à une critique de l’industrie culturelle, et plus précisément de l’industrie du rêve hollywoodienne. L’innocente beauté de Scarlett Johansson et son accent grossier, le dentier d’Hobie Doyle, cette statue du décor à moitié construite demeurent autant de signes pour figurer la superficialité de cet univers. Les frères Coen, dans le but d’aller au-delà des apparences, utilisent à merveille la profondeur de champ et le contrechamp.

Le décalage, la truculence et l’onction des dialogues comportent sans cesse un double message. Les réalisateurs reviennent sur le cinéma hollywoodien des années 50, avec pour toile de fond le star-system, le maccarthysme, la connivence entre les producteurs et les politiques. La présence désopilante des kidnappeurs communistes jette une lumière particulière ce point : le cinéma de genre participe, par ses codes et ses représentations, à une idéologie dominante. La réussite des frères Coen tient à doubler leur hommage d’une perspective critique. Leur film brasse tous les genres, il n’en suit aucun. Le péplum biblique résume bien ce partage. Le cinéma rejoue l’incarnation divine du Christ par la lumière. La scène finale où Georges Clooney discourt, extatique, devant le Christ en croix est un sommet de l’art parodique.

Ave César est avant tout un film sur le cinéma. La beauté des personnages inventés par les frères Coen, le Dude en tête, procède de cette rupture entre ce qu’ils imaginent être ou vivre et ce qu’ils sont et vivent réellement. La disjonction entre l’image et le son demeure ainsi primordiale. Le personnage type des frères Coen est un individu démocratique qui se croit dans un film. Il évolue dans des structures narratives préétablies. Adorno et Horkheimer l’avaient expliqué dans Kulturindustrie :

La vieille expérience du spectateur du cinéma qui retrouve la rue comme prolongement du spectacle qu’il vient de quitter – parce que celui-ci vise à reproduire exactement le monde des perceptions quotidiennes – est devenue un critère pour la production. Plus elle réussit par ses techniques à donner une reproduction ressemblante des objets de la réalité, plus il est facile de faire croire que le monde extérieur est le simple prolongement de celui que l’on découvre dans le film.

ave cesar coenIl en est ainsi des deux protagonistes du film, Josh Brolin et Georges Clooney. Le premier, Eddie Mannix, vit presque essentiellement dans le studio de cinéma et se prend en quelque sorte pour un personnage de film noir, à la Raymond Chandler. La voix off met en valeur ce double jeu. Quant à la star Baird Whitlock, son adhésion rapide et primaire aux idées communistes trahit une vision épique de l’existence.

Les frères Coen ont réussi le pari d’un équilibre entre hommage et satire, critique et légèreté. Si Ave César risque de ne trouver qu’une place mineure dans leur filmographie, il reste en cohérence complète avec les grands thèmes développés par les réalisateurs. Peut-être pas impérial donc, mais savoureux à souhait.

Film Ave César, Joël et Ethan Coen, États-Unis, comédie, 106 minutes, février 2016

avec Josh Brolin, Georges Clooney, Alden Ehrenreich, Jonah Hill, Scarlett Johansson, Tilda Swinton

Titre original : Hail, Caesar!
Titre français : Ave, César !
Réalisation et scénario : Joel et Ethan Coen
Direction artistique : Jess Gonchor
Décors : Cara Brower
Costumes : Mary Zophres
Montage : Joel et Ethan Coen
Musique : Carter Burwell
Photographie : Roger Deakins
Production : Tim Bevan, Joel et Ethan Coen et Eric Fellner
Sociétés de production : Mike Zoss Productions et Working Title Films
Sociétés de distribution : Universal Pictures (États-Unis), Universal Pictures International France (France)
Pays d’origine : États-Unis
Langue originale : anglais
Durée : 106 minutes
Genre : comédie
Date de sortie : 17 février 2016

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