Fusillade au Blosne, sécurité à Rennes : la campagne municipale entre en zone de turbulence

4000
rennes police

Trois fusillades en moins de quarante-huit heures, un jeune homme exécuté d’une dizaine de balles au Blosne, deux salves de tirs à Villejean, la CRS 82 déployée en urgence dans ce quartier de Rennes devenu très sensible… Ce week-end de décembre 2025 marque un basculement. Rennes se retrouve encore une fois sous les projecteurs pour des violences armées de type mafieux. Dans leur intensité comme dans leur répétition, ces événements font désormais éclater au grand jour ce que certains observateurs décrivent comme une « spirale criminelle » installée depuis au moins trois ans.

Au-delà de la seule dimension sécuritaire, ce week-end noir constitue un tournant politique majeur. La sécurité, longtemps périphérique dans le débat municipal rennais, s’impose désormais comme l’un des terrains centraux de la campagne 2026. La maire de Rennes, Nathalie Appéré, durcit son discours et appelle l’État à renforcer massivement sa présence. L’opposition, menée par Charles Compagnon, accuse la majorité d’inaction chronique et dévoile un programme sécuritaire très offensif. Dans une ville où l’affrontement politique se joue traditionnellement sur les terrains du social, de la culture (du moins, un peu) et de l’urbanisme, cette recomposition du débat marque une rupture.

2022–2025 : une montée continue des violences armées à Rennes

Afin de comprendre l’effet de sidération créé par ces fusillades, il faut revenir sur la chronologie des trois dernières années. À partir de 2022, plusieurs quartiers rennais — Maurepas, Villejean, Cleunay et le Blosne — connaissent une intensification des trafics de stupéfiants, structurés autour de points de deal tenus par des groupes parfois extérieurs à la région.

• 2022–2023 : les premiers signaux forts

Les fusillades commencent à se multiplier. À Maurepas, deux épisodes de tirs en 2023 font craindre un basculement. La dalle Kennedy, déjà identifiée comme une zone de tensions sociales et économiques, devient un théâtre régulier d’interventions policières. La situation reste contenue, mais une inquiétude diffuse gagne les habitants.

• 2024 : le choc

En octobre 2024, un enfant de cinq ans est grièvement blessé à Pacé lors d’une fusillade liée au trafic. Ce drame marque un tournant dans la perception publique. On parle de « seuil franchi », d’importation de modèles criminels extérieurs. La CRS 82 est envoyée à Rennes. Le parquet évoque une « violence de type organisé ». Dans le même temps, plusieurs règlements de comptes sont recensés au Blosne et à Villejean.

• 2025 : une année sous pression constante

Les tirs de 2025 — au Blosne, à Villejean, à Cleunay — se succèdent à intervalles réguliers, avec des interpellations parfois spectaculaires, des saisies d’armes de guerre, et des flux criminels qui semblent se recomposer à chaque démantèlement. Les enquêteurs de la police judiciaire évoquent des « recompositions rapides de réseaux », une influence croissante de trafiquants itinérants et une concurrence accrue sur l’espace urbain. Les habitants vivent désormais dans un état d’inquiétude constante.

Le week-end de la Saint-Nicolas apparaît alors non pas comme une anomalie, mais comme le point culminant d’un phénomène larvé en passe de devenir état de fait constitutif.

Villejean, Le Blosne, Maurepas, une cartographie de la tension

Si la plupart des quartiers de Rennes ne sont pas touchés par ces violences, trois d’entre eux concentrent l’essentiel des fusillades recensées depuis 2022.

• Villejean

Quartier étudiant et populaire, il cumule densité, axes de fuite, proximité avec la rocade, flux de passage. Le secteur Kennedy connaît depuis longtemps une présence de trafics, mais les tirs des 5 et 6 décembre 2025 franchissent un nouveau seuil : deux fusillades en 24 h, avec arme longue retrouvée près d’une aire de jeux.

• Le Blosne

Grand ensemble des années 1970 en transformation, Le Blosne est devenu l’un des théâtres les plus sensibles du trafic rennais. L’exécution d’un homme d’une vingtaine d’années dans sa voiture ce dimanche matin, criblée d’une dizaine de balles, constitue l’un des épisodes les plus spectaculaires des dernières années.

• Maurepas et Longs-Champs

Zone historiquement complexe, connue pour des affrontements ponctuels entre groupes locaux et réseaux venus de l’extérieur. Plusieurs épisodes de tirs ont été enregistrés en 2023 et 2024, avec une intensification marquée au printemps 2025.

Cette cartographie met en évidence une réalité peu formulée : Rennes n’est pas une ville « violente » au sens large, mais une ville où trois à quatre zones en tension concentrent des affrontements désormais professionnalisés.

Stratégies municipales : le tournant rhétorique de Nathalie Appéré

Jusqu’ici, la position de la maire de Rennes était constante. La sécurité relève prioritairement de l’État, et la Ville concentre ses efforts sur la prévention, l’éducation, l’insertion et la vie de quartier. Mais ce week-end, la ligne change. Dans un communiqué officiel transmis ce matin notamment à Unidivers, la mairie muscle fortement son discours habituel :

Les épisodes de violence avec armes de ces dernières heures sont à nouveau le signe d’une lutte de territoires entre mafias de la drogue. Cette situation est insupportable. La CRS 82 a été déployée hier soir et des renforts d’unités mobiles sont attendus pour les prochains jours. Cela fait des mois maintenant que nous demandons qu’une telle force soit affectée en permanence à Rennes, pour appuyer les effectifs locaux, déjà fortement mobilisés, occuper préventivement le terrain et lutter au quotidien contre les trafiquants, qui tentent d’étendre leur emprise. Le Préfet Robine est en train de prendre ses fonctions et je le rencontre demain matin à la première heure. La lutte contre le narcotrafic sera la première de ses priorités.

Ce durcissement n’est pas anodin. Il entérine publiquement la nature criminelle organisée du phénomène et montre que la Ville ne peut plus se contenter d’une lecture sociale ou préventive. Mais il laisse intacte l’ambiguïté : la municipalité affirme la gravité tout en renvoyant les responsabilités opérationnelles à l’État.

La contre-offensive de Charles Compagnon : la sécurité comme angle… d’attaque

Le communiqué du chef de file de l’opposition, Charles Compagnon, publié ce dimanche, est d’une extrême dureté. Il accuse frontalement la maire de Rennes de « douze ans d’inaction », considérant que : la police municipale est « deux fois moins nombreuse que dans les villes comparables » ; elle est non armée, mal équipée, incapable de dissuasion ; la vidéoprotection est insuffisante ; les dépenses de sécurité (25 € par habitant) sont parmi les plus faibles des grandes villes de France. L’opposant déploie un récit simple : Rennes paierait aujourd’hui le prix d’un choix politique assumé, celui de ne pas considérer la sécurité comme une compétence à exercer localement. Son plan « Vivre Rennes ! » présente un programme qui assume une ligne sécuritaire proche de celles adoptées à Nice, Bordeaux ou Lyon depuis cinq ans. C’est un choix stratégique connu : polariser autour d’un thème où les électorats se cristallisent rapidement.

Préfecture et forces de l’ordre : une stratégie d’étouffement qui ne porte pas ses fruits

Depuis un an, la préfecture alterne trois types d’interventions : déploiements temporaires de la CRS 82 dans les zones en feu, opérations “Place nette” pour assécher les points de deal, démantèlements ciblés menés par la police judiciaire. Ces actions produisent quelques effets visibles — saisies, interpellations, baisse ponctuelle des violences — mais leur caractère temporaire crée une impression de « respiration courte » : chaque retrait ouvre la porte à une reconstitution des réseaux. Le préfet Franck Robine, tout juste nommé, arrive dans un contexte où le besoin d’un choc d’efficacité dans la lutte contre le narcotrafic apparaît vital. Car le bruit qui est en train de dépasser le simple stade du murmure parmi les riverains, c’est que ni la mairie ni le gouvernement actuel ne sont en pratique capables de restaurer l’autorité de l’État et la paix sociale. Une perte de confiance dangereuse.

2026 : une campagne où la sécurité devient un champ de bataille

Jusqu’ici, les élections municipales rennaises se jouaient sur les politiques culturelles, l’urbanisme, les mobilités, la transition écologique, la vie associative. Désormais, un thème s’impose : la sécurité. Quatre lignes politiques se dessinent :

  • La ligne Appéré : reconnaître la gravité, mais insister sur le rôle central de l’État.
  • La ligne Compagnon (que partage sur ce point l’arc qui va du centre à l’extrême droite, et même en off plusieurs voix au centre-gauche) : sécuritaire, opérationnelle, armée, municipalisée.
  • La ligne écologiste : prévention, désescalade, refus de l’armement, focus social.
  • La ligne citoyenne / associative : lutte contre les trafics, mais aussi contre la stigmatisation des quartiers populaires.

L’épisode de ce week-end agit comme un révélateur et un accélérateur. La campagne rennaise entre dans une zone de turbulences, où le récit constant de la ville — apaisée, culturelle, solidaire, étudiante — est définitivement percuté par un second récit plus sombre, celui d’une métropole sous tension.

Une ville en quête de récit, entre attractivité et vulnérabilité

À Rennes, la sécurité n’est pas qu’une question d’ordre public. C’est une question identitaire. Comment une ville forte de son attractivité culturelle, universitaire, sportive, peut-elle absorber des épisodes de violence armée devenus récurrents ? Comment concilier une ambition urbaine ouverte et un sentiment d’insécurité qui gagne certains quartiers ? Le débat local porte désormais sur ces fractures : entre centre et périphérie, entre discours national et réalité locale, entre promesse de métropole dynamique et vulnérabilité de quartiers laissés en première ligne.

La campagne municipale qui s’ouvre pourrait bien se jouer là, dans la façon dont Rennes racontera ce week-end noir, et dans la capacité du pouvoir municipal comme de ses opposants à proposer un modèle crédible, soutenable et lisible de sécurité urbaine. Entre crise et recomposition, la ville entre dans un moment politique décisif où tout attentisme, même déguisé, est devenu inaudible pour la majeure partie de la population.

Aujourd’hui, la campagne des municipales à Rennes est réellement lancée.

Articles connexes :

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.