Après la disparition de sa mère dans un incendie, Mahito, un jeune garçon de 11 ans, doit quitter Tokyo pour partir vivre à la campagne dans le village où elle a grandi. Il s’installe avec son père dans un vieux manoir situé sur un immense domaine où il rencontre un héron cendré qui devient petit à petit son guide et l’aide au fil de ses découvertes et questionnements à comprendre le monde qui l’entoure et percer les mystères de la vie. Mes impressions s’accompagnent d’un enthousiasme modéré à la sortie de la projection.
C’est toujours un événement réjouissant que la sortie d’un long métrage du maître japonais qui aura émerveillé des millions de spectateurs depuis quarante ans. Merveille et inquiétante étrangeté au service d’une dé-monstration de la nature inédite à l’avenant des entités naturelles, divinités surnaturelles et bestiaire hybride de l’univers shinto japonais… Aventure magique, formation de l’enfance et quête restaurative de la perte. Ingéniosité, courage et humour. Immersion dans un rêve éveillé.
Le garçon et le héron n’échappe pas à ces grands axes structurants du cinéma de Miyazaki et à son originalité stylistique. Mieux : il en synthétise une grande partie sous forme d’un testament esthétique, un témoignage spirituel, une introspection analytique. Mais comme souvent avec les retours sur soi, l’organisation formelle de la narration tend à subvertir l’émotion. L’émotion, et la clarté des sentiments. Il en va aussi des impressions ambivalentes et des notes d’humour ici en quantité réduite.
Le Garçon et le Héron est un film dessin animé remarquable, car il s’y concentre une grande partie du génie de Miyazaki. La quête du garçon est orphique et la démonstration par cercles concentriques un soupçon dantesque. Remarquable, malgré quelques transitions fragiles entres deux ou trois scènes-lieux-cercles de la seconde partie. L’étrangeté à la fois désirable et inquiétante qui accompagne chaque mouvement des êtres et des choses ainsi que cet art tout personnel de conférer une dignité symbolique à des éléments d’un imaginaire commun, voire naif, à l’image des perruches, fait du Garçon et du Héron une oeuvre unique. À la fois crépusculaire et résurrectionnel.
Pourtant, sa posture formelle (qui accuse, encore une fois, quelques transitions bancales) me semble économiser l’habituelle puissance émotionnelle (passé l’envoûtant premier quart où l’histoire de la perte de la mère qui a connu l’enfer – Yomi – est exposée avant de quitter le sol terrestre pour cet autre monde qui est représenté par une tour mais ouvre l’en bas, l’en-deçà). Il en va ainsi également de cette malice ingénieuse et éminemment naturelle qui aura réussi à conquérir et nourrir l’imagination de trois générations de spectateurs qui peuplent notre Terre-mère. Un testament – adapté librement d’Et vous, comment vivrez-vous ? de Genzaburo Yoshino, publié en 1937 – qui apparaîtra donc trop formel aux yeux des lecteurs, mais qui convient à sa fonction essentielle : être pour son auteur un viatique au service de sa possible prochaine renaissance.
« Vivre uniquement dans le moment présent, se laisser absorber par la beauté de la lune, de la neige, les cerisiers en fleurs ou les feuilles d’érables, chanter, boire, être heureux en se laissant aller sans effort, affronter l’adversité avec une suprême indifférence, se refuser au découragement et comme le jonc se rendre à la force du courant, cela est le monde éphémère et flottant. » Contes du monde flottant, Asai Ryoi (Kyoto, 1661)