Gare de Lyon, des ouvriers travaillant sur les voies ont vu un SDF se faire poignarder. Une enquête que le capitaine Mehrlicht pense rapide. Mais pour une fois, il pense tout faux. Car le cadavre n’est pas un « vrai » SDF, mais un journaliste qui travaillait sous couverture… Reste à enquêter pour comprendre sur quel dossier il planchait et à qui il a fait peur…
Avec l’aide de son équipe, le lieutenant Dossantos tout en muscle et pas trop en finesse, un rien binaire et carrément raciste, ayant frayé pendant pas mal de temps du côté du front national et qui cite de mémoire la moitié du Code pénal ; Sophie Latour, lieutenant elle aussi, et qui a le malheur d’être une femme dans une équipe de mecs (et rousse, qui plus est), et le jeune stagiaire Ménard, qui ronge son frein en supportant les brimades de bizutage stupides du commissaire, Mehrlicht met le pied dans un nid de frelons. Mais fort heureusement, le commissaire à tête de grenouille accro à la clope, aux répliques des films de Michel Audiard et aux réparties vives soulignées par des jurons sonores est têtu. Et même souvent teigneux…
L’équipe va découvrir la jungle, en plein Paris. Une cour des Miracles contemporaine située au cœur du bois de Vincennes et accueillant tous les rejetés de la capitale, pauvres, mais aussi aigris, revanchards, devenus mauvais du fait d’une vie de malheurs trop pesante. Mais le roman nous emmène aussi à la Sorbonne, où nous aimerions bien être une petite souris et nous glisser dans les couloirs… Que cherchait Crémieux ? Quel lien y a-t-il entre ce monument du savoir et les illuminés de Vincennes ? Et surtout qu’a-t-il découvert ?
L’heure des fous est un polar plutôt bien troussé, agréable à lire et dont on a plaisir à suivre l’évolution et recèle également plusieurs pointes d’humour. Si les personnages sont assez caricaturaux, ils deviennent sympathiques plus on les découvre, et surtout l’auteur nous offre d’eux des descriptions truculentes et même hilarantes en ce qui concerne Mehrlicht. De plus la base de l’intrigue est passionnante, cette « jungle » au cœur de Paris étant vraiment crédible et mettant en avant le problème des SDF rejetés de toutes parts, un problème qui est loin d’exister uniquement dans les romans.
Bref, un essai réussi pour cet auteur qui publie ici son premier roman.
L’heure des fous de Nicolas Lebel, Marabout (30 janvier 2013), 384 pages, 20€
« Ses yeux étaient deux boules sombres que l’on aurait juré indépendantes l’une de l’autre, capables de lorgner l’une la grille de sudoku, l’autre ce qui se passait alentour. Nul n’aurait pu dire s’il avait une langue visqueuse, mais à l’instant où il quittait le bâtiment – ce qui se produisait toutes les demi-heures – on voyait poindre de sa gueule un mégot laiteux qu’il supait avec délectation, s’imbibant de sa teinte cireuse jusqu’au bout de ses doigts-ventouses. Au portrait s’ajoutaient des taches brunes qui ponctuaient chaotiquement son crâne fripé où vacillaient au vent du ventilateur les derniers lambeaux d’une chevelure défunte. »