Intrude c’est l’invasion artistique proposée par l’artiste australienne Amanda Parer. L’invasion ludique de grands lapins blancs lumineux qui bien que sympathiques et très « kawai » se posent là pour questionner nos rapports au vivant et à l’avenir de nos territoires communs et menacés…
Dans le cadre de Dimanche à Rennes Les Tombées de la Nuit associée au festival Maintenant ont décidé d’occuper à nouveau (après l’édition 2015 du festival) le Mail François Mitterrand. Cette fois-ci pas de Dominos ou de jeux d’arcades géants, mais de gentils lapins, énormes et lumineux… Addiction doucement régressive ? Fol attrait contemporain pour les catégories du trop cute ou du super kawaï ? Que nenni ! Apprenons avec Amanda Parer à appréhender ensemble les enjeux de notre temps par un ludique effet de miroir. Comme dans l’immense fiction de Lewis Caroll c’est ce passage à la poursuite du lapin blanc qui nous permettra, peut-être, de mesurer les écarts entre troublants mensonges et éclatantes vérités…
Unidivers : Amanda, comment pourriez-vous, voudriez-vous, décrire vos travaux depuis vos débuts ?
Amanda Parer : Depuis que je me concentre sur le fait d’être une artiste j’ai été fascinée par l’idée de concentrer dans une seule œuvre le plus possible de réactions, d’émotions et de possibilités humaines. C’est avec ceci dans l’esprit que je créé mes œuvres afin qu’elles incarnent l’humour/ le sérieux, la lumière / l’obscur, l’espoir et la mélancolie. J’ai découvert qu’intégrer les thèmes dans ces structures permet au spectateur de faire évoluer sa perception à l’intérieur même de l’œuvre. Je pense qu’une œuvre d’art n’est forte que lorsque son achèvement ne dépend que des repères permettant au spectateur de comprendre l’intention de l’artiste, tout le reste devrait être rejeté.
J’ai terminé mes études d’art à l’Université de Sydney en 1991 et j’ai poursuivi mon travail de création dans d’autres domaines tels que l’art et les films institutionnels pendant plusieurs années. Je sentais qu’il m’était nécessaire de vivre un peu afin de découvrir les thèmes qui seraient à la base de ma pratique artistique. En 1997 j’ai été assez chanceuse de pouvoir accompagner mon oncle, David Parer qui est réalisateur de films d’histoire naturelle. Il a réalisé des films pour ABC, BBC et pour National Geographic. Il tournait alors un documentaire aux îles Galapagos. C’est là que j’ai pu expérimenter la nature en son état le plus primitif et « paradisiaque » et que, par contraste, j’ai constaté l’effet destructeur que nous (les humains) avons sur l’habitat des autres espèces avec lesquelles nous partageons notre planète. Ce qui m’a considérablement affecté. C’est ainsi que j’ai découvert les thèmes de ma pratique artistique.
U : INTRUDE est un projet conçu en différentes tailles, mesures… XL, XXL, sm et désormais Nibbles (pour les enfants). Pourquoi ? Est-ce pour concorder avec l’environnement, l’endroit où l’installation est mise en scène ?
Amanda Parer : La première des séries de lapins Intrude, que nous appelons désormais Intrude classic (7 mètres de haut ou de long), je l’ai créé en 2014 et a été installée dans plus de 35 villes sur quatre continents. Ce que je préfère c’est de m’asseoir et de regarder comment les gens interagissent avec l’œuvre, et c’est là que j’ai pu constater que les enfants étaient très excités par les lapins géants lumineux et aussi que les adultes réagissaient finalement comme les enfants.
Intrude XL (des lapins de 10 mètres de haut), Intrude (un lapin de 15 mètres de haut) et Nibbles (sept bébés lapins de 2 mètres accompagnés de légumes lumineux mobiles) ont tous été commissionnés par des organisateurs d’événements et des compagnies artistiques parce que ces derniers ont aussi compris l’effet fantastique que l’interactivité et l’échelle de l’œuvre produisent sur les spectateurs. J’utilise délibérément la nature espiègle de l’œuvre pour amener les gens vers l’aspect plus sérieux de ses thèmes inhérents.
U : Vous dites que votre propos premier avec Intrude est essentiellement écologique. Toutefois, il est aussi possible d’y voir des sens plus symboliques (lapin blanc, lumière, opposition jour/nuit…). Accordez-vous une importance à ces autres possibilités, à l’imagination ?
Amanda Parer : Oui, la base de mon travail artistique c’est d’explorer le monde naturel et notre rôle dans celui-ci. Je me réjouis à l’idée de semer des repères à travers l’œuvre et d’amener le spectateur vers une interprétation par une structure qui mêle l’humour, le fun, le drame, la fiction, la réflexion sur soi et l’espoir. Je suis une artiste australienne et j’ai conçu Intrude en utilisant le lapin à travers ma spécificité culturelle. En Australie, le lapin est un animal apprécié qui nous rappelle notre enfance tout en étant une espèce importée qui a causé de grandes destructions sur la faune et la flore indigène. Cependant, depuis que Intrude voyage à travers le monde j’en suis venue à découvrir que dans la majorité des pays le lapin possède un symbolisme qui est à la fois positif et négatif. Nous utilisons souvent les animaux comme miroir de nos propres histoires. Oui, ce sont les thèmes écologiques qui amènent une réponse universelle. Je ne prétends pas, et l’œuvre non plus, apporter des réponses à notre actuelle crise environnementale globale, mais je ressens une certaine satisfaction au fait que Intrude au cours de ses voyages amène des discussions sur ce sujet.
Je vis en Tasmanie, une île située dans la partie la plus au sud de l’Australie. Le paysage et le climat peuvent y être dramatiques, d’énormes tempêtes qui permettent toutefois au soleil de cogner. Depuis que j’ai quitté Sydney pour m’installer là-bas je m’aperçois que ces cieux et ces paysages influencent les histoires visuelles de mes travaux. Ne sommes-nous pas aussi constitués d’éléments opposés, tels que ténèbres et lumière ? Nous avons évolué en une espèce très portée sur le visuel à travers lequel nous créons des œuvres d’art qui utilisent le monde naturel, ce qui inclut les paysages et les animaux, pour réfléchir nos propres histoires.