Le Fukushima United FC s’apprête à entrer dans l’histoire avec la construction du tout premier stade de football japonais entièrement réalisé en bois.
Conçu par le studio d’architecture VUILD, en collaboration avec Arup pour l’ingénierie et le design environnemental, ce projet de 5 000 places sera la nouvelle maison du club en J3 League. Plus qu’une enceinte sportive, il se veut à la fois symbole de renaissance pour une région meurtrie et prototype d’une architecture sportive circulaire et participative.
Rompre avec le gigantisme des arènes sportives
L’époque est aux stades démesurés, aux écrans halo à 360°, aux toitures rétractables et aux enceintes pouvant accueillir plus de 80 000 spectateurs. À rebours de cette course au gigantisme, le futur stade de Fukushima assume une échelle intime : 5 000 sièges répartis sur quatre tribunes à un seul niveau, disposées en anneau autour de la pelouse. La hauteur totale ne dépassera pas 16 mètres, l’équivalent d’une modeste barre d’immeuble, ce qui permet au bâtiment de se fondre dans le paysage plutôt que de le dominer.
Cette compacité n’est pas un renoncement, mais un choix architectonique et économique : VUILD revendique une forme générée à partir de la section d’une maison à deux étages, répliquée et mise en rotation pour dessiner l’anneau du stade. Ce procédé contrôle les coûts, facilite la constructibilité et maintient le chantier à une échelle de travail “humaine”, compatible avec la participation de non-professionnels.
Un hommage aux traditions japonaises et au territoire de Fukushima
Le projet dialogue avec plusieurs couches de mémoire. Sa silhouette ondulante s’inspire des toitures à forte pente d’Ōuchi-juku, village historique de la préfecture de Fukushima dont les maisons de poste aux toits de chaume sont devenues une icône locale. La couverture forme une frise de triangles et de plis, comme une version contemporaine de ces volumes vernaculaires, transposés en bois lamellé-collé.
Dans le même temps, la conception reprend le principe du Shikinen Sengu, rituel shinto de reconstruction périodique des sanctuaires. Le stade est pensé comme une structure démontable, faite de modules bois pouvant être désassemblés, réemployés ou recyclés. L’architecture sportive adopte ainsi une logique de cycle – ressources, communauté, transmission – plutôt qu’un idéal de monumentalité figée.

Une architecture de bois, circulaire et démontable
Le pari est radical : la structure est entièrement en bois, principalement sous forme de bois lamellé-collé et de panneaux cloués, issus des forêts de la préfecture. Chaque élément est dimensionné pour pouvoir être manipulé, assemblé puis démonté facilement. Le stade devient un gigantesque jeu de construction, pensé dès l’origine pour sa seconde vie.
Techniquement, la toiture repose sur une série de coques en paraboloïde hyperbolique réalisées à partir de petits éléments rectilignes assemblés en nappes. Au-dessus, des pièces de bois tendues dessinent une ligne en chaînette qui stabilise l’ensemble et donne ce profil de toit strié et ondulant visible depuis les tribunes comme depuis les rizières environnantes. La géométrie complexe n’est pas qu’un effet formel : elle permet de franchir de longues portées avec un minimum de matière, tout en offrant de larges débords de toiture protecteurs.
Quatre volumes, un anneau : anatomie d’un stade à taille humaine
Plutôt qu’un bloc continu, l’enceinte est organisée en quatre volumes distincts, chacun inférieur à 3 000 m², séparés par des interstices qui servent d’entrées et de respirations visuelles. Cette découpe évite l’effet de “mégastructure” et facilite l’intégration dans le site.
- au rez-de-chaussée : vestiaires, espaces d’échauffement, zones techniques, sanitaires, buvettes et circulations publiques ;
- au second niveau de la tribune principale : loges, zone médias et espaces de retransmission ;
- dans la tribune opposée : projet d’espaces d’hébergement type hôtel, pensés comme une source de revenus complémentaires et un outil d’animation du site, y compris hors jour de match.
Ce choix programmatique traduit une volonté : faire du stade un équipement de quartier et de séjour, pas seulement une coquille qui s’anime 90 minutes tous les quinze jours.
Un chantier participatif, entre rituel communautaire et pédagogie
L’un des aspects les plus singuliers du projet tient à sa dimension participative. Les éléments de structure, préfabriqués localement, doivent être assemblés avec l’aide des habitants, des supporters et du tissu associatif. L’édification du stade est pensée comme un grand chantier collectif, dans l’esprit des rituels de levée de temples ou des processions de mikoshi, où la communauté porte et élève l’édifice autant symboliquement que physiquement.
À cette dimension festive s’ajoute un volet pédagogique : programmes de reboisement, ateliers de menuiserie et de charpente, formations pour les jeunes artisans. Le stade devient un prétexte pour transmettre des compétences, sensibiliser aux circuits courts et inscrire la construction dans un véritable projet de territoire.

Une machine climatique passive, adaptée au bassin de Fukushima
La région de Fukushima se caractérise par un climat de bassin, avec des étés chauds et humides, des hivers froids et des épisodes de neige. La réponse architecturale est conçue comme une machine climatique passive. La forme du toit et des façades filtre l’ensoleillement, bloque les vents froids d’hiver et canalise les brises estivales vers les tribunes. Des études numériques ont permis d’optimiser cette géométrie afin de limiter les besoins de chauffage et de climatisation.
L’eau joue un rôle central : le projet prévoit la récupération et la réutilisation des eaux de pluie, ainsi que le stockage de la neige en hiver pour fournir un rafraîchissement naturel en été. Des systèmes d’énergie renouvelable sont envisagés afin d’approcher une forme d’autonomie énergétique, faisant du stade un démonstrateur de sobriété plutôt qu’un gouffre électrique.
Un symbole de renaissance pour Fukushima
Dans une région encore marquée par le séisme, le tsunami et la catastrophe nucléaire de 2011, ce stade en bois ne se résume pas à un équipement sportif. Il se veut un signal de renaissance, tourné vers l’avenir sans effacer la mémoire des drames passés. La thématique de la reconstruction traverse tout le projet : démontabilité de la structure, cycles de replantation forestière, rituels collectifs de construction, transmission intergénérationnelle des savoir-faire.
Cette symbolique se prolonge jusqu’au blason du Fukushima United FC, orné d’un phénix. Voir émerger, au milieu des rizières et des collines, un stade de bois recyclé et recyclable, élevé par les habitants eux-mêmes, revient à donner une forme tangible à cette image d’un territoire qui “renaît de ses cendres”.
Vers une nouvelle génération de stades ?
Présenté à la Biennale d’architecture de Venise 2025, le projet de VUILD pour Fukushima s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en question des grands ouvrages sportifs. À l’heure où les Jeux, Coupes du monde et championnats laissent derrière eux des infrastructures sous-utilisées, ce stade en bois démontable, réparable, à échelle réduite, propose une alternative concrète.Il restera à voir comment ce prototype résistera au temps, aux contraintes d’exploitation et aux exigences des compétitions professionnelles. Mais comme geste, il marque une étape importante : celle où un club de football de troisième division, sur un territoire longtemps associé au désastre, devient laboratoire d’une architecture sportive régénérative, qui conjugue écologie, mémoire et vie quotidienne.
