Dans L’ombre s’allonge Jean-Paul Goux parle la langue de l’absence

Jean-Paul Goux vient de publier aux éditions Actes Sud un court roman superbement intitulé L’ombre s’allonge. Le lecteur y retrouvera la matière à dire chère à cet écrivain de 68 ans : l’influence gracquienne du lieu, l’absence, la solitude ou encore le travail sur la voix narrative. En prenant pour prétexte l’accident d’un homme, Arnaud, Jean-Paul Goux tisse un texte clair et obscur, et tout simplement juste.

Jean-Paul GouxDans son Anthologie de la littérature contemporaine française, Dominique Viart ouvre à Jean-Paul Goux les portes d’un panthéon littéraire à venir. Comme Pierre Michon, Pierre Bergounioux ou encore Jean-Philippe Toussaint, Jean-Paul Goux serait donc une voix majeure de notre contemporanéité, en partie grâce à l’entre-deux d’une recherche de la modernité distancée par la critique ou l’ironie. L’œuvre de Goux est marquée par un travail méticuleux sur la forme et la voix narrative, comme dans celle de ses prédécesseurs Claude Simon ou même Samuel Beckett. Dans son écriture de l’engagement – ses Mémoires de l’enclave sur le monde ouvrier, parues en 1986 –, c’est l’enquête sociologique et encore la voix qui permet de contourner habilement l’impasse du roman à thèse. Peu à peu, on retrouve dans son œuvre un basculement vers l’intime et une infraction du romanesque vers un récit brassant par exemple l’érudition, qu’elle soit artistique ou technique. Mais le monde, contemporain dans L’ombre s’allonge, s’accroche, ne bascule pas dans l’intemporel. Goux, ce serait l’intelligence des mots d’un Quignard, plus la tradition du modernisme, plus l’attention, distanciée, à ce qui spasme notre époque.

Jean-Paul GouxL’ombre s’allonge, c’est une intrigue simple. Mais Jean-Paul Goux en fait, comme on dit, toute une histoire. Arnaud, exilé en province, a eu un accident cérébral qui l’éloigne peu à peu du monde. Ses amis, Vincent et Clémence, viennent le visiter dans sa chambre stérilisée. Mais que dire à une personne plongée dans le coma ? La présence absentée de leur ami suscite un deuil en demi-teinte. Le trio est en train de se briser, il ne reste plus qu’à provoquer le souvenir d’un sommet au triangle de leur amitié. En somme, c’est à l’écriture de recouvrir l’absence, de l’affirmer en l’infirmant dans le même temps.

Confrontés à l’accident, les personnages certes se remémorent, mais aussi se posent la question de leur culpabilité et fatalement, de leur propre finitude. La phrase de Jean-Paul Goux distribue les rôles. C’est à Clémence, c’est à Vincent de parler, mais aussi, par l’entremise des correspondances et des souvenirs, à Arnaud lui-même. C’est donc à l’écriture d’assumer la formation géométrique du triangle. S’il était une technique à laquelle comparer la polyphonie de l’écriture de Goux, ce serait le contrepoint. Les trois personnages constituent trois lignes distinctes dont la superposition vise finalement à l’harmonie.

Jean-Paul Goux« S’installer dans la permanence d’une forme », écrit l’un des narrateurs à la page 94. Le roman de Goux ne comporte aucun chapitre : les longues phrases créent une sorte d’unité qui fonde le texte en tombeau poétique. Un portrait en creux de cet Arnaud se dessine dans sa complexité : son caractère intransigeant, son exil en dehors de Paris, sa manière de zézayer, ses longues réflexions sur l’architecture, le combat dont il est le corps entre locataire et propriétaire (dans un arrière-plan parisien gentrifié). La structure interne du roman s’éclaire dans le parallèle avec l’architecture des villes : il est étonnant qu’un ensemble aussi vaste, détaillé, désordonné, puisse composer une forme d’unité. À l’image aussi de la vie…

Ce qui m’enchantait dans la contemplation des maquettes, comme aussi bien doit être enchanteur de contempler depuis une montgolfière le croissant de la petite ville en se tenant juste au-dessus de la ville de Chenevelle, c’était de voir rendu sensible par le moyen de la réduction d’échelle, comme ici ce serait par celui d’une légère altitude, d’éprouver ce qui dans le désir d’habiter tient au désir de la permanence, au désir d’installer à demeure dans l’espace une poche qui ignore le temps destructeur. Car habiter quelque part, ce n’est pas seulement occuper un logis, habiter c’est être mis en sûreté, séjourner dans ce qui vous ménage, vous permet de prendre la mesure de l’étendue de ce que vous êtes, vient le revêtir d’une forme, c’est ménager ce qui dure, ce qui s’élargit en vous dans la durée par les perspectives qu’ouvre devant soi la stabilité du temps, c’est ainsi vaincre le temps destructeur, s’installer dans la permanence d’une forme. (p. 94).

Roman L’ombre s’allonge, Jean-Paul Goux, Actes Sud, Collection Domaine Français, avril 2016, 144 pages, 15 €. E-book : 10,99 €

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