KRISMENN, UN PREMIER ALBUM QUI NOUS HABITUE À L’OBSCURITÉ

C’est sur scène que Krismenn s’est fait un nom. Seul ou accompagné, il a éprouvé ses capacités de créateur en se frottant à des styles divers. Ce qui demeure, clef de voûte et pierre angulaire, de sa pratique musicale c’est la langue. Le breton qu’il a choisi pour exprimer toutes les étonnantes facettes de son art.

Bien qu’ayant déjà une belle carrière scénique, Krismenn signe donc avec ‘N om gustumiñ deus an deñvalijenn son tout premier album. Il l’a voulu personnel et ciselé. Le résultat est étonnant. Puissant, sincère, cet ensemble de 11 titres s’avère captivant. « S’habituer à l’obscurité » c’est ce que signifie en breton : ‘N om gustumiñ deus an deñvalijenn. La langue bretonne, c’est ce que Krismenn magnifie par-delà l’obscurité du sens immédiat. Par des arrangements subtils autant que rocailleux, il porte cette langue archaïque vers des instantanés subjuguant de présence et d’urgence contemporaine. Un lien, aussi solide que le granit se crée.

KRISMENN

Après une introduction, Hent ar c’hoad, (Le chemin du bois), calme et austère, qui sonne plus américaine qu’armoricaine, c’est un tourbillon qui nous entraîne au long cours dans des phrasés amers. Dont a reont “darre et Hunvreoù merglet sont deux titres aux sonorités électro rapeuses et heurtées. La langue bretonne sonne rebelle, et résonne autant avec les landes ancestrales qu’avec les pavés urbains. Le flow en est assurément plus authentiquement bardique (dans leur aspect de maléfiques diatribes) que bien des tentatives plus romantiques. On pourrait presque regretter que les titres suivants s’assagissent tant l’utilisation (unique sur l’album) d’une cornemuse techno hystérique sonne sur Hunvreoù merglet avec un jouissif et brutal décalage.

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Ce serait sans compter sur la maîtrise de la langue, de la rime. Un sens de la mélodie actuelle et intime anime Krismenn. De bout en bout règne l’inventivité. Le jeune artiste sait incarner tous les parallèles qu’il s’est appropriés. Dans une sorte de synesthésie so(m)brement lumineuse, il évoque, en un souffle féroce, les racines qu’on sait se créer. Sons électroniques, fields recordings, guitare slide composent un paysage musical pour une poésie dépossédée, sans âge. Aucun folklorisme néologique ne vient gâcher le plaisir d’une création musicale qui sait, sans fausse fioriture, mêler l’ancestral au sépulcral contemporain.

‘N om gustumiñ deus an deñvalijenn est un album suave, rocailleux, qui fait honneur à la création en langue bretonne. Un road trip singulier dans l’imaginaire, aussi libéré qu’enraciné d’un artiste de son temps.

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‘Ils m’ont fait marcher sur un champ de sel. Quel est ce jeu dont je ne connais pas les règles ?’ (Dont a reont ‘darre)

Unidivers : Pourquoi nous a-t-il fallu attendre si longtemps pour un premier album ? 

Krismenn : Disons que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Tout à commencé par la musique traditionnelle, depuis j’ai beaucoup cherché pour faire adhérer la langue à des choses plus personnelles. Mais, une part de ma vie a aussi été plus centrée sur la musique folk, la musique trad américaine… Puis, beaucoup de beatbox. En définitive, pas mal d’apprentissages dans différents styles. Je sentais qu’il fallait maîtriser tout ça, laisser mûrir tous ces goûts, en partie, afin d’aboutir à des créations plus personnelles.

U. : C’est plutôt réussi. L’album, loin d’être ce que certains pouvaient en attendre, vu votre parcours (rap breton, beat box mixé à du trad…), est très intime, très personnel… 

Krismenn : Clairement. J’avais vraiment envie de retourner à ce que je pouvais faire avant, à l’époque de mon solo. En 2011 déjà, j’avais un solo que je produisais avec contrebasse, beatbox et guitare slide. J’avais envie de retourner vers ce genre de sonorité. Mes expériences de rap avec Alem ont enrichi mon approche. Mais, je n’avais pas du tout envie de faire un album entier basé sur les beatbox, le rap. C’est peut-être ce que les gens attendaient, mais ce n’est pas du tout ce que j’avais envie de produire. J’avais des envies plus ‘musicales’, pas de performances en beatbox ou en rap.

KRISMENNU. : Autre surprise, pour le coup, et pour une autre partie du public, il est très peu question de musique traditionnelle bretonne sur cet album ? 

Krismenn : Sans doute, oui. Il y a aussi sûrement des échos… Parce que c’est moi, je m’en inspire. Mais, vraiment, la volonté derrière cet album, c’est de proposer des compositions personnelles. Le breton n’est pas ma langue maternelle, c’est un vrai travail que de proposer des textes qui sonnent. J’essaie de respecter la langue. Je ne voulais pas donner dans le texte militant, faire passer des sentiments plus que des messages. Je suis attentif aux rimes, à la poétique de la langue, il s’agit d’évoquer, de proposer des images à travers les sonorités.

U. : Malgré tout, chose assez surprenante, ce n’est pas le breton festif qui est évoqué à travers cet album. L’ensemble est assez mélancolique, pour ne pas dire sombre…

Krismenn : Oui c’est certain. Toutefois, je me suis aperçu que dans les textes j’aimais assez cette proposition… Amener, poser un côté sombre, une ambiance un peu obscure et, finalement, le résoudre dans quelque chose de plus lumineux. J’essaie d’amener vers du positif. J’espère. L’important n’est pas le point de départ, sombre, mais la résolution, lumineuse. On s’habitue à l’obscurité et finalement on en tire le bon, le meilleur…

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U. : En outre le visuel de l’album et ta musique se correspondent parfaitement… Chose recherchée, mais rarement atteinte dans les productions actuelles…

Krismenn : Oui. Les photos qui illustrent l’album je les ai faites autour de chez moi. Elles correspondent bien à la manière dont j’ai composé et enregistré les musiques. J’ai essayé de faire correspondre chaque image avec les chansons. Certaines chansons ont même, en fait, été inspirées par les photos. C’est un processus assez mystérieux en fait. Certaines paroles sont nées par de simples rimes… Pour certaines images, je ne savais pas bien pourquoi je prenais la photo. Tout ça a fini par se croiser, par engendrer autre chose. Sans raison préméditée. Et ça, ça me plait.

‘N om gustumiñ deus an deñvalijen est le nouvel album de Krismenn, CD, 11 titres, 2017, World Village, PIAS

Dates des prochains concerts de KRISMENN :

21 juin 2017 KRISMENN Place de l’Hôtel de Ville, Lorient
22 juin 2017 KRISMENN SOLO Festival du verbe, Toulouse
24 juin 2017 KRISMENN & ALEM St Jean, Millau
07 juillet 2017 KRISMENN & ALEM Hip-hop festival, Quimper
08 juillet 2017 KRISMENN & ALEM Bagadañs, Carhaix
09 juillet 2017 KRISMENN & ALEM Trad’in, Embrun
13 juillet 2017 KRISMENN & ALEM Les jeudis, Guingamp
14 juillet 2017, KRISMENN & ALEM, La Roche Jagu
15 juillet 2017, KRISMENN, Kann al loar, Landerneau
19 juillet 2017, KRISMENN,Festival Cornouaille, Quimper
20 juillet 2017, KRISMENN & ALEM, Fest-noz de Kerjean, Saint-Vougay
22 juillet 2017, KRISMENN & ALEM, Arré Voce, Plounéour-Ménez
23 juillet 2017, KRISMENN & ALEM, Transes Cévénoles, Boulogne-Sur-Gesse
13 août 2017, KRISMENN, Kan ar vartoloded, Paimpol

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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