Dans son dernier roman La Belle n’a pas sommeil Eric Holder développe une nouvelle fois ces thèmes préférés. Un monde d’amour et de province qu’il nous murmure à l’oreille. Poésie et tendresse au service d’un titre qui résonne un conte…
Il est des livres de Eric Holder comme de sa voix: tout résonne de douceur, de tendresse, de poésie. En fait l’écrivain semble un gentil iconoclaste dans un monde de brutes. Et ce n’est pas son dernier livre « La belle n’a pas sommeil » qui va changer cette perception et cette image d’un formidable romancier. On retrouve ici des thèmes explorés dans « La saison des Bijoux »: le Sud Ouest et l’estuaire de la Gironde, le Médoc, les marchés et la vie de village, le passage des saisons et toujours au centre du livre le magnifique portrait d’une femme, de la femme. Cette fois-ci elle s’appelle Lorraine, comme l’or qui va avec la reine. Elle arrive un beau jour, nouvelle voisine d’Antoine, qui tient une bouquinerie, introuvable, à la lisière de la forêt , « une librairie d’occasion, une bouquinerie dont les bacs, à l’entrée, semblent n’attirer que des chevreuils, des corbeaux. »
Antoine est solitaire, il aime se coucher tôt, surtout depuis la mort d’Anne, son seul et véritable amour. Anachorète plus que misanthrope, aime-t-il se définir. Mais Lorraine, conteuse itinérante, va rentrer dans cette vie forestière partagée entre le rythme des saisons et les livres, des milliers de livres qui « montrent leur dos, du sol au plafond, tandis que des échelles figurent les allées centrales ». Et la belle n’a pas sommeil. Et Antoine va se coucher tard, de plus en plus tard.
Sous d’épais sourcils, ses yeux laissent voir une mosaïque confectionnée avec des tessons de récupération, comme au Parc Güel à Barcelone, carrelage oriental, ciel du nord, faïence délavée, bleu crépuscule, bleu nuit.
C’est peu et c’est beaucoup. Peu, car il ne s’agit peut-être que d’une belle histoire d’amour mille fois racontée. C’est beaucoup, car cela suffit à Holder pour exprimer son talent qui n’a pas son pareil pour dire la beauté rayonnante d’un être ou d’un début de saison. Le monde d’Holder est celui de la province abandonnée, de Marie la boulangère, maîtresse occasionnelle, amoureuse de cinéma, de Marco, le garde champêtre à la lisière d’une nouvelle définition de son métier, qui remplace les traces de sanglier par la garde d’un camping estival. Et celui de Jean Louis, autre voisin, géant qui classe les hommes entre les Vaillants et les Inutiles, les forts et les faibles. Ainsi va le monde dans ce coin de Gironde, un univers où les livres se vendent en catimini, presque en s’excusant de déranger, en effraction comme Jonas, le jeune et beau parisien, qui vole deux livres de Frédéric Berthet, auteur pourtant peu connu, mais vanté par Antoine. Jonas, le citadin qui volera encore plus à Antoine.
Les livres, ces colonnes de livres forment comme un paysage sauvegardé, protégeant des rumeurs de la ville. Ils ont probablement sauvé Antoine, ils servent à Lorraine pour ces spectacles, pour dire ces contes à des enfants et des adultes subjugués. Ces livres disent des mots, ces petites choses qui permettent de vivre et de conserver le passé. Alors Antoine passe du rôle de lecteur à celui d’écrivain, espérant que le passage éclair de Lorraine dans la maison illuminée comme jamais pour la Noël transformera le manuscrit en ouvrage.
« J’aimerais connaître la joie de retrouver ce volume parmi les stocks d’autres qui défilent sous mes mains. Il me semble que la boucle serait bouclée, qu’une existence consacrée aux livres trouverait là sa consécration ». Voilà. C’est chose faite. Le livre est entre nos mains. Prêt à une belle consécration.