Elle mesure à peine 20 centimètres, a de grandes dents, des yeux ronds déformés par une expression mi-féerique, mi-anxieuse, et elle provoque des émeutes. Depuis quelques mois, la peluche Labubu, issue de l’univers de la marque chinoise Pop Mart, est devenue un objet culte sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok, au point de déclencher des scènes d’hystérie dans les rayons de magasins britanniques. En réponse à des attroupements chaotiques, des bagarres, et des comportements jugés dangereux, plusieurs enseignes ont été contraintes de retirer Labubu de la vente au Royaume-Uni. Retour sur un phénomène de société où se rencontrent stratégie marketing, culte de la rareté et logique mimétique.
Un objet transitionnel postmoderne
Labubu n’est pas une simple peluche. Elle incarne une forme nouvelle d’attachement néo-affectif propre à l’ère numérique. Ce n’est plus l’objet qui rassure l’enfant, mais un fétiche de collectionneur qui, dans une logique adulte infantilisée, permet de s’identifier à une communauté mondialisée, connectée et ultra-réactive. Comme les Sonny Angels ou les Squishmallows, Labubu est un « totem » social, un vecteur de reconnaissance tribale, qui fonctionne dans un contexte de capitalisme affectif.

Pourquoi cette peluche suscite-t-elle une telle frénésie ?
- Esthétique ambiguë : Avec ses traits délibérément « creepy-cute », Labubu s’inscrit dans l’esthétique japonaise du kimo-kawaii, entre mignon et inquiétant, qui captive les jeunes générations en quête d’identités floues et transgressives.
- Stratégie de rareté : Pop Mart fonctionne sur le modèle des « blind boxes » : chaque figurine est emballée de façon aléatoire, ce qui encourage la collection compulsive et le phénomène d’hoarding.
- Effet TikTok : Des vidéos de déballage, de « hauls » ou de mises en scène de Labubu atteignent plusieurs millions de vues. Le réseau social joue le rôle de chambre d’écho hystérisante où s’injecte une dopamine sociale et visuelle constante.

De la peluche à l’émeute : une dérive mimétique
Ce qui devait n’être qu’un produit de niche est devenu une source de désordre public. À Londres, Birmingham ou Manchester, des scènes de panique ont éclaté lors de mises en vente de stocks limités : files d’attente dès l’aube, altercations, objets arrachés des mains. Ces événements relèvent d’un mimétisme girardien, où le désir ne s’origine pas dans l’objet mais dans le désir d’autrui pour cet objet. Ainsi, le retrait de Labubu des rayons n’est pas tant un échec commercial qu’un symptôme de saturation du modèle consumériste.
Une société en crise de sens… et de peluche
À travers Labubu, se révèle une jeunesse en mal d’imaginaires stables, captée dans un vertige de tendances et de micro-obsessions. Ce que l’on achète n’est plus une peluche, mais une expérience esthétique, une preuve d’appartenance, et surtout, un artefact émotionnel censé combler le vide affectif laissé par l’atomisation des sociabilités réelles. Dans ce contexte, l’interdiction temporaire de vente apparaît moins comme un acte de régulation qu’un aveu d’impuissance des autorités face aux passions mimétiques de masse.

Vers une nouvelle écologie du désir ?
Le cas Labubu interroge enfin la nécessité d’éduquer aux affects numériques : comprendre pourquoi nous désirons ce que nous désirons, ce qui nous pousse à suivre une tendance, et comment nous pourrions réorienter ces énergies vers des formes plus durables de lien, d’expression ou de création. Au lieu d’un énième produit à la mode, c’est peut-être la grammaire de nos désirs collectifs qu’il faut repenser.
