Lorsque les parents, et surtout la mère, ont consacré toute leur vie à l’éducation des enfants, le départ de la maison familiale laisse un grand sentiment de vide. Avec son style d’une simplicité redoutable, Philippe Besson exprime justement l’émotion d’une mère quand son dernier enfant quitte le nid.
Anne-Marie a perdu ses parents dans un accident de voiture. Héritant de la maison, elle a dû arrêter ses études, trouver un emploi au supermarché de proximité afin de payer les traites restantes. Elle a trouvé avec Patrick, un homme taiseux et serviable , un bonheur simple. Et puis les enfants sont arrivés, emplissant leur vie de joies et de soucis. De condition modeste, la famille se contentait de sorties abordables et de vacances en camping. Mais personne ne regrette rien, la vie de famille les comblait de bonheur.
Aujourd’hui, cela fait trente ans qu’Anne-Marie et Patrick vivent dans ce pavillon. Julien, l’aîné, s’est marié. Laura est partie s’installer à Madrid pour son travail. Théo, le petit dernier s’apprête à déménager pour un petit studio en ville à proximité de sa future école. « Théo est le petit dernier et perdre le petit dernier est tout bonnement une dévastation, un anéantissement. » Avec ce court récit introspectif, Philippe Besson nous fait vivre cette journée marquante de l’envol de Théo. Au réveil, Anne-Marie perçoit la fragilité des dernières fois. Préparer le petit-déjeuner pour quelqu’un, sentir l’indolence de son fils, percevoir la nervosité du père qui ne peut afficher sa peine. Puis, c’est le trajet jusqu’à la ville dans la Kangoo chargée de cartons, offrant une proximité ultime et rassurante du fils près de sa mère. L’inévitable inquiétude face au quartier ou à l’exigüité du studio. La pause déjeuner dans un restaurant de proximité délie les langues et dévoile les angoisses. Une cicatrice réveille un mauvais souvenir, un téléphone qui vibre prête à penser que le fils a déjà une autre vie, son refus de venir à l’anniversaire de la grand-mère laisse craindre un oubli de la famille. Et puis, c’est l’heure de la séparation.
Théo n’est plus qu’une silhouette dans le rétroviseur de la voiture. Sur le chemin du retour, Anne-Marie s’effondre devant un Patrick qui ne sait comment la consoler. Quel silence dans cette maison devenue vide ! « À quoi je vais servir maintenant ? » Les lieux communs, les phrases rassurantes des uns et des autres n’y feront rien. La peur de la solitude, du vide, le sentiment d’inutilité font vaciller Anne-Marie. Comment réinventer sa vie de couple quand on a passé des dizaines d’année à la mettre au second plan pour s’occuper des enfants ? D’un moment ordinaire, l’émancipation d’un enfant, Philippe Besson crée un récit bouleversant. Au fil de cette journée particulière, l’auteur scrute tous les détails dans les gestes et les mots d’Anne-Marie, à la fois excessive et touchante.
Derrière des phrases simples et courtes, derrière les mots prononcés au quotidien se cachent tous les sentiments que les parents ne savent exprimer. Un roman tout en nuances, sobre et sensible sur un événement qui nous parle, que nous soyons parents ou enfants. Philippe Besson est un écrivain, scénariste et dramaturge. En l’absence des hommes, son premier roman, publié en 2001, est couronné par le Prix Emmanuel-Roblès. Depuis lors, il construit une œuvre au style à la fois sobre et raffiné. Il est l’auteur, entre autres, de Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau, L’Arrière-saison (Grand Prix RTL-Lire), Un garçon d’Italie et La Maison Atlantique. En 2017, il publie Arrête avec tes mensonges, vendu à plus de 120 000 exemplaires, couronné par le Prix des Maisons de la Presse et Un personnage de roman, portrait intime d’Emmanuel Macron, alors engagé dans la campagne présidentielle. Il revient à l’autofiction en 2019 avec Un certain Paul Darrigrand puis Dîner à Montréal. Ses romans sont traduits dans vingt langues.