Adoptée dans la discrétion du mois de juillet, la loi Duplomb a déclenché une onde de choc dans les milieux écologistes, scientifiques et citoyens. Derrière ce texte technique se cache une remise en cause profonde des principes de précaution, de santé publique et de transition agroécologique. Mais le 7 août, le Conseil constitutionnel a censuré partiellement la loi, invalidant la réintroduction de l’acétamipride, un néonicotinoïde interdit depuis 2018. Une victoire d’étape pour les plus de deux millions de signataires de la pétition citoyenne, mais la bataille parlementaire est loin d’être terminée.
Un texte qui fait sauter les garde-fous
Portée par le député Jean-François Duplomb (Les Républicains, Haute-Loire) et soutenue par une partie de la majorité présidentielle, la loi entend « simplifier les procédures d’autorisation des intrants agricoles en situations exceptionnelles », notamment en cas de stress hydrique, de maladie végétale ou de chute de rendement menaçant la sécurité alimentaire.
Pour ses opposants, il s’agit surtout d’une porte ouverte à l’introduction accélérée de pesticides interdits, de substances toxiques, et à des dérogations permanentes aux règles environnementales. Malgré la censure ciblée du Conseil constitutionnel, une grande partie des dispositions demeure en vigueur.
Le texte permet notamment :
- La suspension temporaire de certaines études d’impact en cas d’« urgence économique » ;
- Une extension du champ des autorisations préfectorales, court-circuitant les agences sanitaires ;
- L’assouplissement de l’encadrement des traitements aériens et des distances de sécurité entre zones d’épandage et habitations ;
- Des simplifications administratives pour les plus gros élevages et la construction d’ouvrages de stockage d’eau à finalité agricole, sur lesquels les Sages ont toutefois émis des réserves.
Une aberration sanitaire et constitutionnelle ?
De nombreux scientifiques et ONG dénoncent un retour en arrière brutal. Le collectif Générations Futures parle d’« écocide légalisé », tandis que des figures comme le député Benjamin Lucas (Génération.s) évoquent une « bombe à retardement pour la santé publique ». Les risques identifiés sont multiples :
- Contamination des sols, de l’air et de l’eau potable ;
- Effets chroniques sur la santé humaine (troubles endocriniens, cancers, perturbations neurodéveloppementales) ;
- Atteintes à la biodiversité et aux pollinisateurs, essentiels à la production agricole.
La pétition initiée par Éléonore Pattery, étudiante en master QSE et RSE, mobilise une argumentation solide, s’appuyant sur :
- La Charte de l’environnement de 2005, annexée à la Constitution ;
- Le principe de précaution (Rio, art. L110-1 du Code de l’environnement) ;
- Les rapports du GIEC, de l’OMS, de Santé publique France et de l’INRAE.
Le Conseil constitutionnel a jugé que la réintroduction de l’acétamipride était contraire à la Charte, « faute d’encadrement suffisant ». Pour les juristes mobilisés contre le texte, cette censure conforte l’idée que la loi Duplomb pourrait être fragilisée dans son ensemble sur le terrain constitutionnel, en raison d’atteintes au droit fondamental à un environnement sain.
Une fracture démocratique de plus ?
La pétition a dépassé les deux millions de signataires, provoquant un effet domino : relais dans les médias, débats parlementaires, saisines du Conseil constitutionnel. Sur les réseaux sociaux, le mot-dièse #NonALaLoiDuplomb a dépassé les 2,5 millions d’utilisations.
Les opposants dénoncent des débats écourtés, l’absence de consultation des agences sanitaires, et un manque de concertation avec les acteurs de la transition agroécologique. Pour eux, la loi Duplomb incarne une gouvernance par le fait accompli, à rebours des engagements climatiques et de la volonté populaire.
Une mobilisation qui dépasse le clivage partisan
La contestation transcende les lignes politiques : la Confédération paysanne, des médecins de santé publique, des chercheurs, des juristes, mais aussi des élus écologistes, insoumis, socialistes et même quelques macronistes dénoncent une « trahison du vivant ». La gauche parlementaire prépare une proposition d’abrogation totale et exige une nouvelle délibération en hémicycle.
En face, les syndicats agricoles favorables au texte, comme la FNSEA, les Jeunes agriculteurs et la Coordination Rurale, expriment leur colère face à la censure partielle et réclament la promulgation rapide du reste de la loi. Le sénateur Duplomb a déjà annoncé vouloir travailler à un nouveau texte pour réintroduire l’acétamipride en respectant les critères imposés par les Sages.
En toile de fond, une question persiste : qu’est-ce qu’une agriculture compatible avec le XXIe siècle ? La loi Duplomb semble miser sur un court-termisme technocratique là où ses opposants plaident pour un modèle conciliant santé, science, démocratie et respect du vivant.
