Pudique acide / Extasis (recréation)de Mathilde Monnier et Jean-François Duroure au Triangle à Rennes
Deux charmants tourtereaux dansent leur idylle bohème et gémellaire. Ils se chamaillent, ils se réconcilient, expriment leurs caprices narcissiques avec désinvolture. Voilà revenue la danse graphique, sensuelle et branchée des années 80 ! C’est avec délectation que l’on a pu (re)découvrir Pudique acide / Extasis, premières pièces chorégraphiques créées respectivement en 1984 et 1985 par Mathilde Monnier et Jean-François Duroure jeudi 27 et vendredi 28 février dernier au Triangle à Rennes. L’interprétation de Sonia Darbois et Jonathan Pranlas restitue avec bonheur l’esprit de ces années mutines.
En 2011, Mathilde Monnier et Jean-François Duroure remontent pour la première fois les deux pièces chorégraphiques de leurs tout débuts. L’idée a surgi à Mathilde Monnier, alors à la tête du Centre Chorégraphique de Montpellier Languedoc-Roussillon, lors de la présentation, par deux élèves du conservatoire, d’un extrait de Pudique acide (1984). Cette pièce et Extasis (1985) ont lancé les carrières des créateurs et sont emblématiques de la danse contemporaine française des années 80.
Aussi, (re)voir ces œuvres procure un sentiment étrange, car le spectateur a sous les yeux des « ovnis » qui ont traversé 30 ans. Ces pièces se démarquent des créations actuelles et pointent les changements dans les questionnements et pratiques de la danse contemporaine.
Les deux danseurs Sonia Darbois et Jonathan Pranlas (qui ont l’âge de ces pièces !) ont confié à Unidivers: on ne danse plus comme cela aujourd’hui. Le rapport à la musique n’est plus le même. Pour ces pièces, on danse sur les temps de la musique. Il y a une quantité incroyable de mouvements qui étaient choisis pour leurs formes, parce qu’on les aimait bien. Ça n’est plus ainsi aujourd’hui : tout doit être justifié. C’est intéressant de replonger dans les questionnements de l’époque et de voir à quel point le public d’aujourd’hui adhère à cette proposition toujours très vivante.
Vibrent effectivement la liberté, l’humour, l’énergie, la générosité, la fraîcheur ; une forme d’insouciance typique de cet âge d’or de la danse française incarnée par toute une génération de jeunes chorégraphes.
Les costumes des pièces, les mêmes pour Elle et Lui, illustrent cet état d’esprit : kilt à la Jean-Paul Gaultier sur pantalon pour Pudique acide et imper beige sur crinoline blanche pour Extasis. Dupont et Dupond ne sont pas frères et ils affichent leur glamour, un glamour unisexe, punk-soft et new wave, selon les codes en vigueur au forum des Halles, inspirés par des stars comme David Bowie, Grace Jones et autres Annie Lennox ! Toutefois le style vestimentaire ne se traduit pas par une « ambivalence de genre » - expression inconnue dans les années 80 ? - et c’est tout de même Elle qui domine le couple et initie la danse, particulièrement dans Pudique Acide, dans un « suis-moi si tu peux » canaille. Dans Extasis, Elle joue également de son autorité lorsqu’Elle incarne une momie-robot à laquelle son incestueux fils, sorte de Norman Bates, voue un culte. Toutefois cette trouble hiérarchisation dans le couple, garante d’une certaine cohésion, apparaît atténuée dans la recréation et laisse place à un rapport d’attraction/répulsion beaucoup plus agressif. Changement des mœurs ?
Ainsi, cette danse, certes joyeuse et revigorante, se voit contaminée par un mal de vivre qui s’exprime dans un grotesque expressionniste, avec des emprunts au cinéma : celui de Chaplin (Les Temps modernes); Pabst (l’Opéra de quat’sous); Fritz Lang (Métropolis) ou Hitchcock (Psychose). Et la musique, aux accents démoralisants et inquiétants, inclut d’ailleurs des morceaux de l’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill ou Psycho Suite de Bernard Herrmann.
Cette ambivalence entre une légèreté de ton et un arrière-plan plus sombre, désenchanté, rappelle que le milieu des années 80, moment qui voit l’essor d’une danse contemporaine, volontiers chic et provoc’, fortement soutenue par les pouvoirs publics (i), correspond également à l’arrivée du sida et du chômage de masse. Pudique acide/Extasis ont été recrées dans un contexte social, culturel et politique radicalement différent de celui d’aujourd’hui. Comment expliquer alors le succès de ces pièces rejouées depuis trois ans ? Appel à une douce nostalgie ou réactivation d’un trauma?
Emmanuelle Paris & Rotomago Photogrammes extraits du film de Karim Zeriahen (2011)
+d’infos : le Triangle – Cité de la danse (partenaires Unidivers.fr) 02 99 22 27 27 – Boulevard de Yougoslavie 35201 Rennes www.letriangle.org Mathilde Monnier : http://www.mathildemonnier.com/