Sortie au mois de juillet 2013 au Japon après une importante médiatisation du projet, l’attente pour découvrir la nouvelle création d’Hayao Miyazaki Le vent se lève touche à sa fin pour le public francophone. Co-fondateur du Studio Ghibli, on lui doit des bijoux tels que Princesse Mononoke (2000), Le voyage de Chihiro (2002) ou, encore, Le château ambulant (2005). Ce maître de l’animation japonaise n’a plus à prouver son talent ; c’est avec impatience que beaucoup se précipiteront en salle pour voir sa onzième œuvre. L’émotion est d’autant plus forte que l’illustre réalisateur tire sa révérence du monde des longs-métrages à l’âge de 73 ans.
Toute la filmographie de l’artiste repose sur de nombreux thèmes, en particulier l’aviation et le monde aérien qui lui sont chers. Et ce nouveau Miyazaki Le vent se lève (Kaze Tachinu) ne déroge pas à la règle car, à l’image de Porco Rosso (1992), il est le thème principal de cette œuvre. Sur les écrans depuis le 22 janvier, ce film d’animation conte l’histoire de Jiro Horikoshi. Pour la première fois, Miyazaki s’inspire de deux personnes réelles pour son personnage principal. D’une part, l’ingénieur en aéronautique du même nom, passionné d’aviation depuis l’enfance, lequel a permis une avancée considérable du Japon grâce à ses « chasseurs Zero ». D’autre part, l’écrivain Tatsuo Hori, auteur des romans Le vent se lève et Naoko. On peut également établir le parallèle entre le personnage de Jiro et son créateur. Tous deux passionnés d’aviation, ils sont aussi considérés comme des génies à l’origine de grandes avancées dans leurs domaines ; d’un côté, l’aviation pour Jiro et, de l’autre, l’animation avec Miyazaki.
Un réalisme teinté de rêves
Les officionados de l’univers fantastique du réalisateur pourront être décontenancés par le réalisme de ce dernier film. Inspiré de faits réels, il est ancré dans une période historique précise ; ce qui l’éloigne des espaces-temps imaginaires présents dans la plupart de ses œuvres. Le vent se lève apparaît toutefois comme plus mature en raison des thèmes lourds qu’il dépeint. Reste que cela n’empêche en rien la manifestation de la magie et du lyrisme à travers l’imagination du personnage principal. Malgré les souffrances évoquées, le spectateur retrouve toujours un vent d’espoir, d’amour ou de rêve. Si bien que la frontière entre la réalité et le rêve se fait de plus en plus mince tout au long du film.
Visuellement, le film comporte de somptueux décors et des ambiances originales soulignées par les teintes du ciel et des nuages. Allant d’une profonde noirceur lors de scènes sombres comme la guerre à un éventail chamarré dans les scènes de rêves en passant par un magnifique ciel clair dans des scènes aériennes qui emportent véritablement le spectateur aux nues. Le graphisme est tel que certains plans renvoient à des oeuvres picturales à part entière ; quant aux engins volants, ils sont extrêmement détaillés. Le bruitage joue aussi beaucoup dans la création des ambiances du film, en particulier durant les scènes de grondements provoqués par les tremblements de terre ou des moteurs d’avions. C’est d’autant plus intéressant qu’ils ont été réalisés par des voix humaines.
Vent omniprésent
Fascination pour le passionné d’aviation qu’est Jiro, source de l’idylle entre lui et Naoko ou élément de terreur et de destruction, le vent est partout. Il est si présent dans le film qu’il pourrait être considéré comme un personnage à part entière. Cet élément naturel influe sur la vie des personnages principaux et on ne peut s’empêcher de penser à Paul Valéry de son poème Le Cimetière marin : « Le vent se lève!… Il faut tenter de vivre! ». Motif et élément principal, il repart et revient tout au long pour rester à l’esprit du spectateur jusqu’à la fin. L’importance de la vie est au cœur de l’œuvre de Miyazaki et sonne comme l’un de ses messages principaux. Malgré les horreurs et les tristesses auxquelles le personnage est confronté, il se relève, ne perd pas de vue ses rêves et tout son entourage le pousse à vivre. Vivre quoiqu’il arrive !
Le vent n’est pas présent uniquement de manière visuelle ou dans le récit. Les musiques de Joe Hisaishi – compositeur qui a participé aux autres projets de Miyazaki – accompagnent harmonieusement le long-métrage et s’écoutent comme une agréable brise. Il en va de même pour Hikouki-gumo, le titre de Yumi Matsutoya – connue aussi sous son nom de jeune fille, Yumi Arai – utilisé comme thème du film ; l’air reste en tête après la projection. Aériennes, ces musiques transportent le spectateur et créent une atmosphère singulière.
Entre espoir et mélancolie
Le vent se lève se distingue par sa maturité dans le traitement des événements historiques de manière romancée. Rapidement, une mélancolie s’installe et montre au spectateur qu’il n’est pas question de fantaisie ou d’innocence. Ici, c’est une situation d’adulte, mais la place des rêves en son cœur se pose rapidement. Jiro, le personnage principal, ne lâche jamais son objectif de créer des avions bien qu’il connaisse leurs destins futurs. Il place sa passion au-devant de tout, le rêve surpasse ainsi la réalité. C’est d’ailleurs dans les rêves de Jiro qu’apparaît l’ingénieur italien Giovanni Caproni qui lui sert de guide. Il incarne en la touche d’espoir qui présente les avions comme des rêves et non comme des outils de destruction ou de mort. Le récit oscille ainsi entre des scènes sombres et mélancoliques et des scènes d’espoir ou d’amour lyrique. C’est de la même manière que Miyazaki présente la rencontre pleine de poésie entre Jiro et Naoko aussi bien que la violence du séisme de Kanto de 1923. L’amour passionné entre les deux protagonistes n’a d’égal que la souffrance de la réalité décrite et le spectateur est balancé entre ces deux états d’esprit tout au long du film.
Il faut tenter de vivre!
Bien que le film accuse parfois quelques longueurs et s’écarte de la fantaisie et du dynamisme habituels du réalisateur, il montre la vie, sa dureté et la souffrance qu’elle peut apporter. « Le vent se lève!… Il faut tenter de vivre! » Cette citation de Paul Valéry accompagne tout le film et sonne comme la phrase clé malgré les échecs ou les épreuves difficiles que chacun peut connaître. Vivre malgré tout. Miyazaki fait ses adieux. Entre rêve et réalité. En illustrant l’importance de la vie et les difficultés d’en prendre soin. C’est ce souffle mêlé de désillusion et d’espoir que le spectateur retiendra et qui fait de ce film une œuvre digne de son créateur.
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Miyazaki Le vent se lève… Il faut tenter de vivre !