Paris. Le magasin BHV en difficulté, que va-t-il devenir ?

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Malgré sa décoration de Noël, baptisée Rêverie, le BHV Marais peine à retrouver son allant. L’arrivée de Shein — première implantation physique permanente de la plateforme — a polarisé l’image du grand magasin, fragilisé des relations commerciales déjà tendues et ravivé une question devenue centrale : qui possédera demain l’immeuble du 52, rue de Rivoli ? BHV ou l’effet Shein, la fuite des marques et la bataille des murs

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Il faut rappeler que le BHV vit depuis plusieurs années une période de recomposition : d’un côté, un grand magasin historique au cœur de Paris, symbole d’un commerce “à la parisienne” (bricolage, maison, cadeaux, mode) ; de l’autre, un modèle économique chahuté par la concurrence, l’explosion du e-commerce et la hausse des coûts d’exploitation. C’est dans ce contexte que la Société des Grands Magasins (SGM), dirigée par Frédéric Merlin, qui exploite le BHV, a noué un partenariat très commenté avec Shein.

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Ouvert le 5 novembre 2025, l’espace Shein occupe le 6e étage sur plus de 1 000 m², annoncé comme un étage “mode” accessible et familial. Sur le papier, l’équation est simple : capter un public jeune, transformer un flux en achats, réinstaller le BHV dans une dynamique. Dans les faits, l’opération a immédiatement déplacé le sujet : ce n’est plus seulement une question de trafic, mais une question de positionnement. Que devient l’identité d’un grand magasin quand il offre une vitrine durable à une marque devenue, pour une partie du public, le symbole de la fast-fashion ultra-accélérée et de ses controverses ?

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La controverse a été alimentée par des révélations récurrentes sur des produits jugés inacceptables trouvés sur la plateforme (dont des articles à caractère sexuel mettant en scène des enfants), mais aussi par la perception d’un “grand écart” entre l’image patrimoniale du BHV et l’univers Shein. Résultat : l’arrivée de la marque n’a pas seulement attiré des curieux ; elle a aussi déclenché une chaîne de réactions dans l’écosystème du magasin, entre indignation publique, crispations politiques et inquiétude sociale.

Depuis novembre, plusieurs enseignes ont annoncé leur départ, en évoquant des retards de paiement et, pour certaines, une opposition nette à la présence de Shein. Parmi les départs médiatisés figurent notamment Dior, Guerlain et Sandro. Ce qui se joue ici dépasse la simple liste des marques : lorsque des enseignes “locomotives” s’en vont, c’est souvent la promesse globale du grand magasin qui se fragmente. Moins de marques attractives, moins de raisons de venir “faire un tour”, moins de conversion, donc moins de capacité à rassurer les partenaires restants.

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Dans les étages, le malaise se lit aussi dans l’atmosphère : des rayons clairsemés, une fréquentation irrégulière, des visiteurs qui regardent sans acheter. Le BHV tente de compenser par des opérations commerciales et une mise en scène des fêtes, mais l’impression générale reste celle d’un magasin qui peine à retrouver une cohérence. Même la quincaillerie — pourtant un marqueur historique de l’ADN BHV — semble parfois fonctionner en “mode ralenti”, signe que la crise n’est pas seulement cosmétique.

La séquence de fin d’année a pris une tournure particulière : au-delà de la décoration intérieure, la Ville de Paris a refusé certaines animations extérieures habituellement associées à Noël, dans un contexte jugé trop polémique et délicat au plan de la sécurité. Symboliquement, c’est lourd : pour un grand magasin, Noël n’est pas une simple saison, c’est un test de vitalité, un récit collectif, un appel d’air. Quand ce récit se fissure, c’est tout le commerce qui paraît moins “désirable”.

En coulisses, la question immobilière est devenue l’autre centre de gravité du dossier. Le fonds de commerce est exploité par la SGM, mais l’immeuble reste la propriété des Galeries Lafayette. Or, posséder les murs change tout : capacité à investir, à rénover, à redessiner les étages, à relouer, à reprogrammer des surfaces. Selon plusieurs informations concordantes, Frédéric Merlin n’a pas réussi à boucler le financement nécessaire pour acheter l’immeuble, et les Galeries Lafayette ont indiqué être entrées en négociations exclusives avec un investisseur anglo-saxon spécialisé dans la gestion d’actifs immobiliers.

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De son côté, la mairie de Paris a fait savoir qu’elle suivait le dossier de près et qu’une candidature publique n’était pas impensable, avec une idée qui revient régulièrement dans la capitale : introduire du logement (dont du logement social) dans des immeubles tertiaires ou commerciaux, sans “tuer” l’activité au rez-de-chaussée. Sur le papier, c’est une piste ; dans la réalité, la transformation d’un grand magasin en bâtiment mixte se heurte à des contraintes techniques, patrimoniales et économiques. Mais le simple fait que cette hypothèse circule dit l’ampleur de la crise : le BHV n’est plus seulement un commerce, c’est un objet urbain dont l’usage futur devient politique.

Au fond, la crise actuelle condense trois tensions contemporaines. D’abord, la tension entre l’économie du flux (faire venir, faire parler, faire “buzz”) et l’économie du commerce durable (fidéliser, convertir, maintenir une offre cohérente). Ensuite, la tension entre image et rentabilité : un grand magasin vit aussi de prestige, de confiance, de “désirabilité”, et la moindre dissonance se paie en départs de partenaires. Enfin, la tension entre commerce et immobilier : quand les loyers, la dette et la valeur des murs deviennent le vrai moteur, le magasin risque de n’être plus qu’un occupant provisoire de son propre bâtiment.

Pour les salariés, l’enjeu est immédiat : derrière les stratégies de marque et les montages immobiliers, il y a des emplois, des métiers, un savoir-faire. La suite dépendra d’un point très concret : qui tiendra les murs, avec quel projet, et quelle place — réelle, pas seulement décorative — sera laissée au BHV comme grand magasin.

BHV Marais — 52, rue de Rivoli — quartier du Marais, Paris 4e

Contact : 09 77 40 14 00

Martine Gatti
Martine Gatti est une jeune retraitée correspondante de presse locale à Paris et dans le pays de Ploërmel depuis bien des années.