Dans Le Chant des innocents, troisième polar édité en France, l’auteur italien Piergiorgio Pulixi nous emmène à la poursuite d’un marionnettiste manipulateur d’adolescents. Et à la découverte d’un nouveau flic. Glaçant et addictif.
En 2021, les éditions Gallmeister ouvraient leur catalogue à la littérature européenne avec notamment un roman policier italien de Piergiorgio Pulixi, L’Île des Âmes. Deux enquêtrices atypiques, Mara Rais et Eva Croce, plongeaient dans les ténèbres ancestraux de la Sardaigne, mêlant légendes et actualité. Important succès, ce livre fut suivi de L’Illusion du Mal qui voyait se prolonger la collaboration des deux jeunes femmes. Logiquement, avec ce troisième roman, Le Chant des Innocents, on pouvait s’attendre à une nouvelle enquête des inspectrices, chères à des lecteurs emballés par leurs humeurs imprévisibles. Prévision erronée, car étonnamment le bandeau rouge de couverture annonce qu’il s’agit là de « la première enquête de Vito Strega ».
Pourtant, le patronyme de Vito Strega n’est pas anodin, le lecteur attentif se rappellera que son nom apparaît comme criminologue dans le dernier roman paru en France. C’est donc bien lui, à l’évocation jusqu’alors énigmatique, qui va occuper le devant de la scène abandonnée par les deux enquêtrices.
Original Vito Strega l’est à sa manière. D’abord par sa prestance et présence physique imposante, qui lui confèrent un charme indéniable auprès des femmes qu’il côtoie. Un mètre quatre vingt quinze et une silhouette qui rappelle Maigret. Tel est ainsi le paradoxe de ce policier, totalement hors normes, mais qui par son originalité apparente rejoint nombre d’enquêteurs, archétypes des dernières décennies. Comme le flic norvégien Harry Hole de Jo Nesbo, il a des méthodes d’investigation atypiques, se heurte à sa hiérarchie, se bat avec des problèmes affectifs et se trouve même suspendu de ses fonctions suite au décès mystérieux de son adjoint. Comme l’américain Harry Bosch de Michael Connelly il a perdu sa mère dans des conditions mystérieuses et s’est retrouvé, sans vocation, dans l’armée. Vito Strega rentre donc de plain pied dans la tradition des policiers romanesques en marge de l’institution, adeptes de méthodes peu orthodoxes et animés d’une volonté sans faille de justice qui trouve son origine dans une enfance chaotique. Moins surprenant que Mara Rais et Eva Croce, il n’en est pas moins attachant dans les fêlures et cassures d’une existence dont on découvre peu à peu les méandres du passé.
La personnalité du « héros » qui est l’élément essentiel de ces polars contemporains se combine toujours à une enquête principale, fil rouge du roman. Cette fois-ci il s’agit de meurtres d’une violence extrême perpétrée successivement par des adolescent(e)s de quatorze ans, meurtres a priori sans connexions. Sauf pour Vito Strega. Pulixi démontre à nouveau les qualités narratives de ces livres précédents en faisant monter progressivement la pression au fil des pages écrites en italiques, attendues et redoutées du lecteur, car annonciatrices des meurtres à venir.
Contrairement aux enquêtes de Simenon, l’enquête centrale n’est pourtant plus aujourd’hui suffisante et l’autre intérêt majeur des polars actuels, est souvent l’adjonction, en filigrane, d’une intrigue secondaire, accompagnée de personnages annexes presque aussi importants que l’enquêteur. C’est ici essentiellement des femmes qu’il s’agit, de femmes avec qui Vito a du mal à composer une vie affective stable et qui nous disent beaucoup de l’inspecteur suspendu. Teresa Brusca, inspectrice amoureuse mais éconduite de Vito, Marina La Brava, enquêtrice perverse et inquiétante, Cinzia son ex-épouse et Livia la psychologue en charge d’évaluer Vito. Quatre femmes comme quatre regards extérieurs, séduits par cet énorme gaillard si mal dans sa peau.
Évoquant le mal être de jeunes, Pulixi inscrit cette fois-ci son histoire dans notre société actuelle, délaissant contes et légendes, pour un récit haletant qui ne saurait se limiter à la résolution d’une intrigue, la plus diabolique qui soit. Habile narrateur, il pousse le lecteur à avancer rapidement vers la fin de l’ouvrage, lui donnant envie de mieux connaitre encore ce Vito Strega, dont il s’agit de la première enquête. Première et peut être dernière. Qui sait?
Le chant des innocents de Piergiorgio Pulixi. Traduction de l’italien de Anatole Pons-Remaux. Editions Gallmeister. 336 pages. 23,80€. Parution le 17 août.
Ce livre a reçu le Prix Fedeli (réalisme du livre par rapport quotidien des Forces de l’Ordre), le Prix Corpi Freddi et le Prix Grotte della Gurfa.