Les revues photographiques sont nombreuses, parfois éphémères, et souvent consacrées au matériel ou à des conseils techniques basiques. Il existe un magazine à part dans cet espace rédactionnel, un magazine consacré essentiellement au photo journalisme. POLKA né il y a maintenant 7 ans est cette revue originale. Entrons dans la danse.
Une présentation sommaire, et de manière définitive, du concept de cette revue s’impose.
Créée en 2007 par la famille Genestar, ce magazine a voulu donner un nouvel espace à tous les photographes et présente la particularité essentielle de donner à voir mais aussi à lire.
Nous sommes loin des revues essentiellement techniques (Chasseurs d’Images, Réponses Photo) et de matériels. Ici rien que de la photo journalistique d’abord mais aussi créatrice et proche de son temps. Des port folios remarquables (voir sur le numéro d’été 2013 les formidables photos du danois Joakim Eldskilsen) accompagnés de textes de qualité sont l’atout premier de ce trimestriel édité sur un beau papier glacé. Mais le lecteur y trouvera aussi des prises d’opinions tranchées sur les problèmes de société et leur traitement par la photo, des critiques de livres, des expositions.
Trois « chapitres » structurent chaque numéro : Polka Image qui traite de l’actualité photographique, Polka le Mag qui laisse la place à des reportages photos et écrits où la rédaction souvent s’engage, et enfin Polk’Art où se succèdent un port folio, les livres, les expos, le marché de l’art, des sujets beaucoup moins liés au photo journalisme.
Cette revue trouve un débouché logique dans une galerie d’exposition située dans le Marais à Paris où sont exposées (et vendues) les photographies « coup de cœur » de la rédaction.
Très loin des revues aseptisées et liées aux fabricants de matériels Polka est à la fois une manière facile d’initier son œil à la plupart des formes photographiques, anciennes et contemporaines, et de découvrir des sujets innovants.
La technique n’est pas une fin en soi, l’essentiel est dans la manière de voir et en ce sens Polka vaut des centaines heures d’apprentissage et de cours.
Prix au numéro : 5,90 euros mais vous pouvez l’obtenir à un prix encore plus avantageux avec diverses formules d’abonnement. Vous pouvez vous faire une idée personnelle en consultant le site polkamagazine.com remarquablement construit.
NUMERO 25. Mars Avril Mai 2014 : William Klein, Paparazzi, 14-18, une histoire rwandaise, Prune Nourry, Châtelet, Syrie, Kiev
Pas d ‘hésitation, la couverture colorée, saturée, tonitruante et…..gaie, traverse tout le numéro. Choix rédactionnel bien peu photographique (justifiant l’originalité et le fondement de Polka) que Alain Genestar explique dans son éditorial, : c’est une photo de William Klein, 85 ans, tirée de son premier reportage numérique qui est le cœur même de ce numéro avec un port folio de 48 pages consacré à Brooklyn, et c’est un énorme rire provocant, « en pied de nez, en réponse au noir et au gris de nos jours (…) ».
Et la couleur, c’est bien ce qui éclate dans ce reportage d’un mois dans ce quartier de New York, la couleur exubérante, pétante, exaltante qui n’est pas sans rappeler le fameux Kodachrome 25 saturé à souhait, rappel de nos jeunes années quand la pellicule transformait un pâle ciel gris en coucher de soleil flamboyant. Pas de photo exceptionnelle dans le travail de William Klein mais un ensemble de 23 photographies cohérentes, complémentaires, suggestives, occupant tout le viseur de l’appareil, ne laissant aucune place aux détails inutiles. Bref un vrai photo reportage montrant plus que démontrant.
Moins nombreuses, mais encore plus percutantes, quatre photos double pages consacrées à la tragédie ukrainienne de la place Maïdan, images d’une « tragédie étrangement photogénique ». La photo d’un couple d’opposants se reposant est déjà gravée dans ma mémoire comme cette photo en plongée séparant parfaitement en deux images distinctes, les forces d’opposition casquées d’orange à gauche, et les casques noirs argentés des policiers à droite. Éternelle question de l’esthétisme renforçant, ou non, la force des images de témoignage.
Polka ne serait pas Polka sans son changement de ton et son éclectisme. Normal de trouver alors de manière plus légère (et moins convaincante) un reportage sur le théâtre du Châtelet ou sur une commémoration du centenaire de 14-18 incluant des jeunes en insertion.
La complémentarité texte-images que revendique Polka trouve toute sa force dans le reportage de Christophe Calais qui est revenu, vingt ans après le génocide rwandais, raconter l’histoire d’Angélo, l’enfant Hutu sauvé d’un charnier. Un reportage qui pose honnêtement la question du photo journalisme happé par l’événement sans capacité d’analyse et de mise en perspective. Un constat et une critique acerbe que reprend à son compte un long article consacré à un couple franco rwandais « écœuré » du traitement médiatique de la France qui ne s’est apitoyée, via les images des photo reporters, que lorsque fut découverte la fuite des populations, surtout Hutu, fuyant le parti Patriotique Rwandais . Procès d’une société dans laquelle des événements n’existent que s’ils sont accompagnés d’images et de photos. Un constat que reprend à son compte de manière plus légère un article consacré à l’exposition tant décriée du Centre Pompidou-Metz consacré aux Paparazzi, article intitulé justement « Sans photo, pas d’histoire ». Ou tout simplement « pas d’Histoire » ?
« Souriez, c’est le début de la victoire », écrit Alain Genestar en conclusion de son éditorial. Souriez certes mais intelligemment, aurait il pu ajouter, à la lecture de ce numéro.