Portrait de l’artiste en masochiste de Boris Groys, Jubilatoire !

Portrait de l’artiste en masochiste est un livre brillant et néanmoins intelligent. Il instruit le lecteur sur notre condition postmoderne et dépoussière au passage un grand classique de la littérature mondiale – le tout en moins de 50 pages. L’auteur de ce tour de force n’est autre que Boris Groys.

 Portrait de l’artiste en masochiste que viennent de traduire les éditions Arkhê est une bonne occasion de découvrir celui qui est encore peu connu en France alors qu’il est présenté comme « l’enfant terrible de la scène intellectuelle allemande ». À l’origine, ce texte est une conférence prononcée en 2003 à Graz à l’occasion d’une exposition organisée par Groys lui-même et consacrée aux visions du masochisme dans l’art.

Portrait de l’artiste en masochiste de Boris GroysDans une première partie, Groys entreprend une passionnante relecture du roman de Sacher-Masoch : La Vénus à la fourrure. Loin d’y voir une perversion comme il est de coutume, notre auteur analyse le comportement de Séverin à l’égard de Wanda comme une tentative pour faire durer le sentiment amoureux, par définition toujours éphémère. Il s’agit alors pour lui de régresser à l’état d’esclave et de vivre dans la totale dépendance de Wanda, cette femme émancipée : « comme elle ne prend pas d’engagements de son côté, elle ne peut plus les rompre. Séverin est ainsi entièrement immunisé contre tout danger d’infidélité. » (p.26) Moyennant quoi il renonce à tous les acquis de la modernité : la vérité, la transparence, la liberté, l’égalité…

À quelque chose près, l’artiste contemporain est dans la même situation que Séverin, c’est en tout cas la thèse soutenue par Groys dans la seconde partie de son livre. La culture de masse et la civilisation des médias ne lui laissent d’ailleurs pas d’autre choix : « de nos jours, le travail lié à l’art, la culture ou la littérature est uniquement possible en tant que manifestation d’un amour masochiste. » (p.32) Et dans le rôle de la Vénus à la fourrure, c’est désormais le consommateur-roi qui passe d’un artiste à un autre, d’un achat à un autre d’un simple clic sur Internet.

Il ne reste plus à l’artiste qu’à comptabiliser les chiffres de ses ventes, sa présence dans les médias, le nombre de visites sur son site Internet et de vivre dans la soumission à son public par chiffres interposés. Nous sommes désormais entrés, selon Boris Groys, dans l’ère de la Kunststatistik et du Ranking généralisé. La prédilection de nos sociétés pour les sondages et les enquêtes statistiques n’en est-elle pas d’ailleurs une des facettes les plus voyantes ?

Un essai jubilatoire qui n’a pas pris une ride dix ans après sa première édition.

 Christian Debroize

Boris Groys : Portrait de l’artiste en masochiste (traduction de Peter Cockelbergh), Editions Arkhê, 9,90 €. Ce livre est disponible à Rennes à la librairie Le Chercheur d’art.

Article précédentCuisine en forme(s), des livres de recettes thématiques
Article suivantPrésentation du programme estival d’Unidivers !
Christian Debroize
Situé à Rennes juste derrière le Parlement de Bretagne, la librairie Le Chercheur d'Art propose un large choix d'ouvrages d'art, aussi bien dans le domaine des arts plastiques que des arts appliqués.La librairie assure le service de commande à l'unité ainsi que la recherche bibliographique. Régulièrement, Le Chercheur d'Art organise des rencontres, des conférences et des signatures.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici