Dans Cézanne, des toits rouge sur la mer bleue, essai sur le peintre d’Aix en Provence, la romancière Marie Hélène Lafon part à la recherche de l’homme qui a consacré son existence à son art. Des mots choisis pour dire les touches de peinture.
« Aller au paysage ». Quelle jolie formule de Cézanne. Aller au paysage, comme « aller au combat », car c’est bien de cela qu’il s’agit pour le peintre d’Aix, notamment lorsque à la fin de sa vie il se rend devant la Sainte Victoire pour tenter à jamais d’en percer les mystères, de saisir la couleur du vent, la chaleur étouffante de la pierre. Aller au paysage comme on va à l’écriture aussi, car Marie-Hélène Lafon confie en début d’ouvrage qu’elle terminait un chantier violent il y a un an, son dernier magnifique roman Les Sources, pour enfin cézanner et voir si de ce côté du sud de la France l’herbe y était plus verte. C’est qu’il est âpre le bonhomme au chevalet, pas particulièrement convivial. Pas du genre à taper amicalement dans le dos. Il faut le contourner, l’éviter, puis s’approcher et faire témoigner les lieux et son environnement familial.
L’autrice nous a habitués depuis de nombreuses années à ausculter le passé et le présent du monde rural, notamment celui de son Cantal natal. Véritable bascule donc pour l’écrivaine de s’intéresser à l’ami d’enfance de Zola et de se balader sous la chaleur caniculaire du pays d’Aix. Ce sont des mots déjà qui l’avaient attirée vers le peintre en 1985, ceux de Cézanne : « C’est comme une carte à jouer. Des toits rouges sur la mer bleue ». Une rencontre entre littérature et peinture qui va se poursuivre jusqu’à cet ouvrage. Plus de trente cinq ans de compagnonnage entre l’artiste et l’écrivaine, qui commet quand même des infidélités avec Flaubert notamment, autre rentier qui voue sa vie à son art, aimé lui aussi par une mère exclusive, et auquel elle adresse un obligatoire salut dans les dernières pages.
Plutôt que d’aborder l’immense peintre des Joueurs de Cartes par une biographie documentée comme celle inégalée de John Rewald, l’écrivaine préfère le rechercher à travers les lieux qui sont restés figés par sa palette. Le Jas de Bouffan d’abord, lieu familial, signe de l’ascension sociale d’un père marchand de chapeau devenu riche banquier. L’atelier des Lauves ensuite, avec son échelle incongrue, et sa fente dans le mur pour permettre de glisser les immenses toiles des Baigneuses. Lieu des derniers jours aussi, de l’ultime portrait inachevé, où s’entreposèrent les multiples Sainte Victoire, thème presque obsessionnel des dernières années, montagne « sainte et carabinée, en majesté et en puissance ». Marie-Hélène Lafon y consacre des lignes magnifiques ciselées, écrites, réécrites, raturées comme devaient l’être les touches de peinture de Cézanne, des centaines de fois déposées, puis reposées avec un geste que l’on devine rude et violent.
Écriture et peinture, en mettant en parallèle la vie du peintre et l’écriture de son livre, Marie-Hélène Lafon lie les deux histoires mais elle ne saurait être écrivaine sans prêter vie aux personnages qui ont partagé l’existence du peintre aixois. Ce sont les pages les plus attachantes du livre. On y découvre la souffrance d’un père qui regrette la passion de son fils pour l’art alors qu’il le destinait à poursuivre l’ascension sociale entamée. On lit l’amour de la mère Anne-Elisabeth qui ne doute jamais du talent immense de son fils. On est touché dans les pages ultimes, celles qui évoquent le jardinier Vallier, dernier modèle, qui comprend le mystère de ses interminables séances de pose, devenues moments magiques d’introspection.
Hasard éditorial, le magnifique texte de Charles Juliet, titré « Cézanne, un grand vivant » publié en 2006, est actuellement réédité, précédé d’un texte inédit « Cézanne, un chercheur d’absolu » (1). L’écrivain adresse à l’artiste une lettre posthume qui le remercie de sa peinture et des sentiments qu’elle procure, notamment celui de « nous communiquer la vie ». Une réédition qui complète parfaitement le livre de Marie-Hélène Lafon plus porté sur l’homme et son environnement. Deux ouvrages à lire avant de retourner voir ces pommes, ces figures hiératiques posées sur un immense fauteuil, ou ces cyprès se balançant au gré du vent. Et suivre ainsi le conseil de Cézanne lui même : « pénétrer ce que l’on devant soi ».
Cézanne. Des toits rouges sur la mer bleue de Marie-Hélène Lafon. Éditions Flammarion. Collection D’après. 160 pages. 18€. Parution le 13 septembre 2023
(1): Editions POL. Collection format de poche. 80 pages. 8€.