Dans Suite Armoricaine Pascale Breton filme la Bretagne comme une Arcadie retrouvée

Elle a de la suite dans les idées, Pascale Breton : son film Suite Armoricaine creuse un sillon mental entamé depuis l’enfance et une détermination pour le septième art initiée en 1995. Une quête des origines alliant psychanalyse et chamanisme. Un très beau film qui enthousiasme le public. A raison !

suite armoricaineAu début, on voit une petite fille qui souffle de la buée sur un miroir. « Personne ne peut être dans mon cerveau. Il n’y a que moi à l’intérieur de moi. Il faudra que je me souvienne de moi à cet instant précis », se dit-elle. Quelques années plus tard, cette enfant, devenue historienne de l’art (radieuse Valérie Dréville) revient à Rennes pour enseigner à l’Université de Villejean. On ne sait pas trop ce qu’elle cherche ou ce qu’elle fuit. Sans doute une histoire d’amour finissante et un milieu intello-rive-gauche — trop pââârisien. Son chemin va croiser celui de Ion, jeune étudiant révolté, coursé par sa mère junkie-sdf (Elina Löwensohn).

Unidivers : Y a-t-il beaucoup de Pascale Breton dans cette Françoise ?

Pascale Breton : Très peu. Notre seul point commun est d’avoir traversé la même époque. Mon adolescence a été marquée par les révoltes des paysans, les manifs contre le nucléaire, les marées noires, les outrages du « remembrement »… Tout ce que je fais apparaître en images d’archives dans le générique.

U. : On y voit aussi quelques extraits de René Vautier. Le cinéaste a compté pour vous ?

suite armoricainePascale Breton : Oui, beaucoup. Il est venu présenter Avoir 20 ans dans les Aurès dans mon collège à Pont-l’Abbé. Un acte militant. À l’époque dans les années 70, c’était le bout du monde. Personne ne venait nous voir, à part Nicole et Félix Le Garrec. Je m’en suis souvenu beaucoup plus tard quand lors d’un festival de cinéma au Chili, j’avais toujours une cour d’étudiantes à me suivre. Il s’est avéré que c’était parce que peu de cinéastes y vont… et encore moins de femmes réalisatrices !

U. : Comment vous est venu ce désir ?

suite armoricainePascale Breton : D’abord, j’étais très tôt cinéphile. Après mes études à Rennes, je suis partie à Paris où j’ai travaillé dans la mode, à la radio (Nova), traduit de l’anglais, écrit des articles, avec toujours le 7e art en ligne de mire. J’ai donc œuvré comme scénariste, et j’ai pu réaliser mon premier film en 1995, un moyen-métrage qui a remporté un prix à Angers et le grand prix à Clermont-Ferrand. Un court et deux moyens-métrages ont suivi puis un premier long-métrage en 2004, Illumination.

U. : Et voici votre deuxième long métrage, distingué dans de nombreux festivals (dont Locarno, où il a remporté le prix FIPRESCI de la presse internationale). La peinture y tient un grand rôle. Françoise fait de brillantes conférences (dont une très savante sur « La lettre T ou comment Dieu a été évincé par la perspective ») et on la voit souvent au Musée des Beaux-Arts. C’est d’ailleurs là qu’elle croise Ion, en pleine contemplation devant La Nativité de Georges de la Tour.

suite armoricainePascale Breton : Je pense comme mon héroïne qu’il est important de voir les œuvres dans leurs dimensions réelles, qu’il ne faut pas se contenter de leur représentation à l’écran. Françoise développe particulièrement le thème du monde rêvé avec Les Bergers d’Arcadie, le tableau de Poussin (Musée du Louvre) : il contient aussi la notion de continent englouti — comme l’Atlantide —, la douleur des cultures qui disparaissent.

U. : On croit d’abord que votre héroïne est à la recherche du temps perdu de ses 20 ans. En fait, sa recherche remonte inconsciemment beaucoup plus loin, à celui de son enfance où elle assistait son grand-père qui faisait office de « rebouteux »… et ce terme désigne des pratiques qui remontent à la nuit des temps.

suite armoricainePascale Breton : Oui, et ce n’est pas un hasard si elle parvient à « défouir » ses racines avec l’aide d’étudiants bretonnants qui l’ont intégrée dans leurs études. Elle pleure en retrouvant le nom breton du nombril de Vénus, de l’achillée mille-feuille et autres plantes médicinales, car par-delà, elle se souvient du bocage, de la ferme familiale, du grand-père qui avait le secret pour guérir la peur. La psychanalyse et la magie procèdent d’une même force. Françoise, dessillée, revient en Arcadie, qui est le pays de l’enfance. La sienne et celle de l’humanité.

U. : Vous avez apporté un grand soin à la musique.

Pascale Breton : Elle a énormément compté dans les années 80. En accompagnant les luttes, ça l’a fait progresser, et ça lui a permis d’atteindre un public plus large. Les Transmusicales sont nées de cette logique. Puis elles ont lancé Marquis de Sade, Daho, Niagara…

U. : Avec le titre du film, on pouvait s’attendre à entendre Alan Stivell

Pascale Breton. : Je voulais éviter tout folklorisme. Alors j’ai opté pour un extrait de Rock Bottom, le chef-d’œuvre de Robert Wyatt, le batteur de Soft Machine (NDLR : et compositeur interprète de génie). Les compositions d’Éric Duchamp tiennent du rock, de l’électro autant que de Purcell.

U. : On dit que vous avez repéré votre acteur principal lors d’un concert à Brest.

suite armoricainePascale Breton : Vrai. J’ai été frappé par la force de Kaou Langoët, chanteur et tromboniste du groupe punk-rock Gimol Dru Band. J’ai tout de suite pensé à lui comme acteur. Vous voyez que j’ai eu raison (rires) ! Depuis le tournage, Kaou a intégré la formation d’acteur de l’Actors Factory.

U. : L’architecture occupe aussi une place importante. Celle des temps modernes. Vous n’exploitez pas comme souvent les colombages et les rues pavées de Rennes.

suite armoricainePascale Breton : L’architecture m’intéresse, bien sûr. Elle a beaucoup de points communs avec le cinéma. Mais je suis plus passionnée par la question de l’habitat. Une boite en carton peut le faire — hélas ! J’aime les déambulations à Villejean, au Bourg-l’Évêque, où les arbres sont beaucoup plus présents qu’on ne croit — même si on ne sait pas les nommer !

U. : Tous vos acteurs ne sont pas débutants, loin de là ! Mais c’est la première fois qu’on confie à Valérie Dréville (ancienne élève d’Antoine Vitez à l’École de Chaillot puis de Claude Régy au Conservatoire National) un rôle principal.

Pascale Breton : Elle avait été révélée par Jean-Luc Godard dans Prénom Carmen (en 1983) et je l’avais beaucoup aimée dans La Sentinelle d’Arnaud Desplechin (1992)… Je suis fière aussi d’avoir pu engager Elina Löwensohn, actrice new-yorkaise d’origine roumaine, qui fut la muse de Hal Hartley et qu’on a vue chez Bertrand Bonello, Abdellatif Kechiche (2010) ou Bertrand Mandico.

Film Suite Armoricaine, Pascale Breton, 2 h 25, France, Zadig production.

Avec Valérie Dréville, Kaou Langoët, Elina Löwensohn, Peter Bonke, Catherine Riaux…

Sortie en salle le 9 mars 2016

Les rencontres en Bretagne avec Pascale Breton:

  • Mercredi 2 mars à 20h au Club à Douarnenez, en présence de Pascale Breton, réalisatrice, et de Kaou Langoët, acteur principal.
  • Jeudi 3 mars à 20h au Grand Bleu à Carhaix, en présence de Pascale Breton, et des acteurs Kaou Langoët, Tangi Daniel, Klet Beyer et Jean-Marie Le Scraigne.
  • Vendredi 4 mars à 20h30 au Quai Dupleix à Quimper en présence de Pascale Breton, Kaou Langoët et d’Alain Le Quernec, l’affichiste.
  • Dimanche 6 mars à 18h aux Studios à Brest, en présence de Pascale Breton et des acteurs Kaou Langoët et Manon Evenat.
  • Mercredi 16 mars à 20h30 au Sévigné à Cesson, en présence de Pascale Breton.
  • Jeudi 17 mars à 20h à La Salamandre à Morlaix, en présence de Pascale Breton et Kaou Langoët.
  • Vendredi 18 mars à 20h au Quai des Images à Loudéac, en présence de Kaou Langoët.
  • Samedi 19 mars à 16h30 à l’Image à Plougastel, en présence de Kaou Langoët.

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Née le 26 décembre 1960 à Morlaix, Pascale Breton étudie la géographie et l’aménagement du territoire à Rennes 2 puis à Paris 1. En 1995, elle réalise son premier film, La Huitième Nuit, moyen-métrage en noir et blanc. Cette comédie sur un traducteur en proie avec une langue qu’il ne parle pas remporte le prix du scénario au Festival d’Angers (Premiers Plans 1996) et le Grand Prix au Festival de Clermont-Ferrand. Trois moyens-métrages suivent, le plus remarqué Les Filles du douze reçoit le Grand Prix du Festival de Brest et est nominé aux Césars en 2002. Son premier long-métrage, Illumination, chronique d’un jeune pêcheur (Clet Beyer) en crise avec la réalité sort en 2004. Il remporte notamment le prix KNF au Festival de Rotterdam en 2005.

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Marie-Christine Biet
Architecte de formation, Marie-Christine Biet a fait le tour du monde avant de revenir à Rennes où elle a travaillé à la radio, presse écrite et télé. Elle se consacre actuellement à l'écriture (presse et édition), à l'enseignement (culture générale à l'ESRA, journalisme à Rennes 2) et au conseil artistique. Elle a été présidente du Club de la Presse de Rennes.

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