Depuis le 1er septembre 2025, l’application de messagerie Tchap est devenue le canal de communication officiellement recommandé – voire imposé – à l’ensemble des agents publics français. Développée par la DINUM (Direction interministérielle du numérique) et validée par l’ANSSI, cette application entend remplacer les outils de messagerie étrangers comme WhatsApp, Telegram ou Signal dans les échanges professionnels au sein de l’administration. Sécurité, souveraineté, hébergement français : la promesse est forte. Mais derrière l’affichage politique et technique, la réalité d’usage est plus contrastée, voire problématique. Pourtant, à la demande du Premier ministre François Bayrou, les agents publics devront, dès le 1er septembre, utiliser la messagerie instantanée Tchap.
Un impératif de souveraineté numérique
Tchap a été conçue à partir du logiciel libre Matrix et repose sur l’interface Riot, renommée aujourd’hui Element. L’objectif était double : proposer une messagerie instantanée aux standards modernes tout en préservant la souveraineté des communications publiques françaises. Un impératif stratégique à l’heure où les plateformes américaines sont soumises au Cloud Act (2018), qui autorise le gouvernement des États-Unis à accéder aux données stockées par des entreprises américaines, même à l’étranger.
Le Premier ministre François Bayrou, dans sa circulaire du 25 juillet 2025, a ainsi rappelé que les cyberattaques et les ingérences étrangères justifiaient une transition vers une messagerie « souveraine » et « chiffrée de bout en bout ». Hébergée en France, opérée par l’État, Tchap incarne cette volonté de reprise en main numérique.
Une adoption en hausse, mais poussée par l’injonction
Déjà adoptée par environ 600 000 agents, selon les chiffres communiqués, Tchap est désormais la messagerie officielle des ministères et administrations. Une adoption qui, toutefois, ne doit pas masquer les réserves : de nombreux utilisateurs y sont venus contraints, sans toujours trouver dans l’outil un substitut convaincant aux standards ergonomiques des applications grand public. Tous les agents publics devront, dès le 1er septembre 2025, utiliser la messagerie instantanée Tchap
Fonctionnalités : l’essentiel, mais sans fluidité
Sur le papier, Tchap propose l’essentiel :
- discussions privées ou en groupe,
- partage de fichiers,
- gestion des salons et des « espaces » thématiques,
- chiffrement de bout en bout des messages.
Mais la promesse d’une expérience fluide et intuitive est loin d’être toujours tenue. Les retours d’usagers, notamment sur les plateformes d’avis comme l’App Store ou Google Play, sont sévères :
- Note moyenne : 2,2/5 sur iOS, avec de nombreuses critiques pointant la lenteur, les bugs récurrents et la gestion chaotique des notifications ;
- Problèmes fréquents de connexion ;
- Perte d’historique lors du changement de téléphone, liée à la gestion rigide des clés de chiffrement ;
- Absence de fonctionnalités attendues : sondages, gestion fine des canaux, personnalisation des notifications, support Apple Watch ou iPad instable.
Certains témoignages d’utilisateurs sont sans appel :
« Impossible d’interagir avec mes collègues la majorité du temps. »
« Les notifications ne fonctionnent plus depuis la dernière mise à jour. »
« Le passage à un nouveau téléphone m’a fait perdre tout mon historique. »
Sécurité : un argument fort mais une image encore fragile
Tchap mise tout sur la sécurité des données. Contrairement aux applications privées, elle ne repose pas sur l’exploitation des métadonnées ou la revente de données personnelles. L’application a été validée par l’ANSSI, l’autorité française de cybersécurité, et se veut conforme aux standards les plus exigeants en matière de cryptographie.
Cependant, son lancement a été entaché en 2019 par la découverte rapide d’une faille de sécurité par un chercheur indépendant, laquelle permettait à des non-agents publics d’accéder à la plateforme. Bien que la brèche ait été corrigée rapidement, l’incident a durablement écorné la crédibilité technique de Tchap. Depuis, malgré des progrès, la défiance reste vive chez une partie des usagers, notamment sur le terrain.
Tchap vs Olvid : deux visions de la messagerie souveraine
Si Tchap est aujourd’hui privilégiée par le gouvernement, elle n’est pas l’unique solution souveraine. L’application Olvid, plébiscitée en 2023 par l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, reste autorisée par la circulaire du 25 juillet 2025. Dotée d’un chiffrement avancé, sans identifiant centralisé ni métadonnée, Olvid a reçu des éloges de la communauté cybersécurité, mais souffre d’une moindre interopérabilité et d’une plus faible adoption au sein de l’administration.
Le choix de Tchap semble donc davantage dicté par sa meilleure intégration à l’environnement public que par une supériorité technique indiscutable.
Entre nécessité politique et fragilités d’usage
Tchap répond à une nécessité politique et stratégique forte : reprendre le contrôle sur les échanges sensibles de l’État, éviter l’espionnage par des puissances étrangères et assurer une traçabilité conforme au RGPD. Mais à vouloir trop vite imposer une alternative 100 % française, le gouvernement a accouché d’un outil inabouti sur le plan ergonomique.
La souveraineté numérique ne peut se limiter à des choix vertueux sur le papier. Elle doit s’accompagner d’une véritable culture de l’usage, d’un support technique réactif, d’une amélioration continue des fonctionnalités, et surtout d’un dialogue avec les agents pour construire un outil à leur mesure.
Car une messagerie, aussi sécurisée soit-elle, ne vaut que si elle est utilisée, aimée, adoptée. Or sur ce terrain, Tchap a encore beaucoup de chemin à faire…
Fiche technique – Tchap
- Développeur : DINUM (Direction interministérielle du numérique)
- Technologie : Basée sur Matrix / Element
- Sécurité : Chiffrement de bout en bout, validation ANSSI
- Disponibilité : Web, iOS, Android
- Conditions d’accès : adresse mail professionnelle gouv.fr, elysee.fr, etc.
- Utilisateurs actifs (2025) : environ 600 000 agents
