TRIO POUR UN MONDE ÉGARÉ, MARIE REDONNET VATICINE UN MONDE RÉDUIT

Le nouveau roman de Marie Redonnet Trio pour un monde égaré s’inscrit dans la même veine que La Femme au colt 45 paru en 2016. Un chœur diffracté à trois voix s’enlace sans se répondre dans un monde égaré. Celui de la grande déstructuration du politique où se conjuguent désocialisation et décivilisation.

  L’égarement fait partie de mon chemin.

MARIE REDONNET TRIO POUR UN MONDE ÉGARÉ

Dans chacun des 6 chapitres, 3 personnages (1 femme, 2 hommes) racontent chacun à leur tour leur parcours existentiel. Le lecteur pourrait croiser leurs noms à l’exotisme geek sur les réseaux du Darknet : Willy Chow, Douglas Marenko, Tate Combo. Ils évoluent dans des lieux imaginaires aux topographies clôturées à l’image de ces villes minimalistes que nous invitent à bâtir les jeux vidéos à la suite de SimCity. Ces topoï s’appellent Salz, Sintéra et Long Fow (cette dernière ville ressemble à un New York frappé d’un 11 septembre par un ennemi à l’identité insaisissable…). 3 personnes, 3 lieux sur fond d’une commune dynamique : crise financière et sociale, déstructuration des liens sociaux, volonté de contrôle physique et psychique des individus, anémie de la mémoire civilisatrice collective, réduction de la complexité psychique individuelle, déstructuration de l’identité, guerres larvées, exactions. Bref, voilà le retour à la violence de l’état de nature, loin de l’état de culture.

Willy Chow est un ancien rebelle qui vit dans une bergerie entre la mer et les collines. Il tente d’oublier un passé trouble, mais la guerre fait à nouveau rage à la frontière et menace la paix de son domaine…

Le scientifique Douglas Marenko n’est pas Douglas Marenko. Emprisonné dans une cellule d’un nouveau genre après avoir tenté de fuir son pays, on voudrait, pour des raisons qu’il ignore, lui faire endosser une nouvelle identité. Il résiste jusqu’à ce que ses geôliers lui présentent une femme censée être son épouse et qu’il sait avoir connue…

Tate Combo a elle aussi quitté son pays, après une prophétie de son père qui prédisait la destruction de son village. Elle vit désormais dans la mégapole Low Fow, où un photographe en vogue a décidé d’en faire, à force d’opérations chirurgicales, l’incarnation d’une déesse qu’il vénère. Le jour où elle décide de rompre cette métamorphose imposée, des avions s’écrasent sur les tours de la ville…

MARIE REDONNET
Marie Redonnet par Bernard Prince

Bien sûr, certains individus s’en sortent mieux dans cet univers réduit, notamment ceux qui sont au service du « Gouverneur », une figure du pouvoir absolu sans cesse menacée de renversement. Pour les autres, c’est selon. Mais il demeure un germe d’espoir contre les forces mortifères : les trois protagonistes découvrent au fond et autour d’eux des motifs susceptibles d’aider leur identité morale et psychique à résister à la déstructuration.

Trio pour un monde égaré est un roman où se diffracte l’avenir du Leviathan – l’homme redevient un loup pour l’homme. Et là est sans doute la réussite de cette écriture psychologique enlevée et scandée : faire affleurer partout et tout le temps un ennemi invisible car protéiforme. À la manière des territoires aux frontières mouvantes qui ne jouissent pas de ce surcroît d’existence que confère une histoire au long cours. Certains lecteurs penseront à Maurice G. Dantec.

Reste que l’implémentation des personnages dans des voix psychologiques réflexives pourra sembler un peu trop didactique (Marie Redonnet explique sa démarche psychanalytique dans une postface autobiographique). Sans doute manque-t-il un contrepoint d’intimité incarnée, de chair non conceptuelle, au point de vue narratif. Manque que le sixième et dernier chapitre précipite dans un affaiblissement de la différence tonale entre les trois voix. Cette réduction présentifie-t-elle la réalité à venir de notre monde égaré loin de la civilisation (et d’un fonctionnement psychique individuel nourri d’une complexité riche et créative) ? Mise en abîme d’un univers abîmé ou quand la mémoire de l’avenir rattrape le présent.

Marie Redonnet Trio pour un monde égaré, Éditions Le Tripode, 200 pages, 4 janvier 2018, isbn 9782370551467,17 €

— Lire un extrait

Rappelons la réédition aux éditions Le Tripode, en 2017, sous le titre Héritières du triptyque romanesque (Splendid hôtelForever ValleyRose Mélie Rose) paru initialement aux Éditions de Minuit en 1986 et 1987.

Il y a quelques années, dans des circonstances qu’elle détaille elle-même, Marie Redonnet fut conduite à s’expliquer sur son parcours d’écrivain. Il s’agit d’un témoignage qui éclaire d’une façon singulière la genèse de Trio pour un monde égaré :

https://issuu.com/letripode/docs/postface_20trio_20_2163fb8367937e

L’auteure Marie Redonnet (née en 1948):
Depuis son premier roman (Splendid Hôtel, Minuit, 1986) jusqu’à son plus récent (La Femme au colt 45, Le Tripode, 2016), Marie Redonnet poursuit une oeuvre qui chemine entre la fable et le scalpel.

Lire l’incipit

Lire la postface autobiographique inédite de Marie Redonnet

Écoutez un extrait

https://issuu.com/letripode/docs/issuu_extrait

Rencontrez Marie Redonnet en librairie : 

Histoire de l’œil (Marseille) le 20 janvier
Ombres Blanches (Toulouse), le 24 janvier
Mollat (Bordeaux) le 25 janvier
Les Rebelles ordinaires (La Rochelle) le 26 janvier
Coiffard (Nantes) le 30 janvier
La Nuit des temps (Rennes) le 31 janvier
Ryst (Cherbourg) le 1er février
Brouillon de culture (Caen) le 2 février
Le Passage (Alençon) le 3 février
Quai des brumes (Strasbourg) le 7 février
Le Hall du livre (Nancy) le 8 février
La Fleur qui pousse à l’intérieur (Dijon, le 9 février
Maison de la poésie (Paris) le 14 février
Les Mots et les choses (Boulogne) le 15 février
À Livre ouvert (Bruxelles), le 20 février
La Voie aux Chapitres (Lyon) le 21 février
Chantelivre (Orléans) le 1er mars
Folies d’Encre (Montreuil) avec Arno Bertina, le 2 mars
Folies d’Encre (Les Lilas) le 23 mars dans le cadre du festival Hors Limites.

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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