Vania Soleïlov habite Kiev. Orphelin, son nom lui vient de celui de l’orphelinat où il a grandi. Ancien policier devenu tout nouveau détective privé, il a ses habitudes au Casanova, le restaurant du grand chef Dimytch Nikodimov. C’est tout naturellement, en apparence du moins, qu’il sera chargé par une drôle d’officine d’enquêter sur l’étrange disparition du cuisinier. Disparition qui le concerne bien plus qu’il n’aurait pu l’imaginer et qui l’amènera à ingurgiter des mets très très variés…
Andreï Kourkov use désormais souvent des mêmes ingrédients. Une quête, une recherche, une enquête envahie une vie quotidienne et un réel assez ternes, mais jamais tout à fait tristes. Elle génère un suspens bien construit qui rebondit sans cesse. L’ensemble devient même allègre par l’irruption d’événements loufoques ou d’épisodes grotesques.
L’absurde vient perturber et décaler, mais jamais altérer tout à fait le sens très organique du réalisme des récits. Il n’est jamais poussé vers l’effroi, le prophétisme ou le fantastique. Kourkov maintient toujours cette parfaite sensation d’être dans le sérieux et la profondeur avec… légèreté et humour. S’il provoque souvent le sourire, voire le rire, ce n’est jamais de manière corrosive, mais toujours avec une affectueuse et intelligente distance. Affection qui se communique au lecteur avec contentement. Vivant à Kiev, vivant en ukrainien et écrivant en russe sur la réalité qui se déforme et se ridiculise, Kourkov pourrait être une sorte de Gogol, sans le morbide.
Avec Truite à la slave, Kourkov livre une savoureuse nouvelle. On le lit d’une traite comme on boit un verre de vodka gouleyante. En quelques pages, comme on termine un bon plat en quelques coups de fourchette. Kourkov, avec son style svelte et finement ironique, parvient à plonger le lecteur dans la longueur de deux vies humaines. Deux vies qui s’ignorent, que tout sépare et qui, par le biais d’un menu épicé et des entrelacements surréalistes d’une imagination qui ne l’est pas moins, vont se trouver liées comme jamais elles n’auraient pu l’être.
Vous avez un trajet un peu long avant de vous rendre au restaurant avec quelques amis, ou même seul ? Pensez à prendre un exemplaire de Truite à la slave dans une poche. Vous goûterez votre repas d’une autre manière et pendant une soirée au moins l’air que vous respirerez et les lumières que vous verrez vous sembleront différents…
Il croquait de temps en temps des épices dont le goût était assez extraordinaire : l’acidité du citron, l’arôme de la fumée où a cuit le bacon anglais, le goût vanillé de la crème fraîche qu’on vient de fabriquer. Il se prit à penser : « Comment toutes ces saveurs exquises se trouvent-elles concentrées dans des grains qui craquent sous la dent ? » (p.19)
Andreï Kourkov, Truite à la slave, éditions Liana Levi, collection Piccolo, Paris, 2013, 56 pages, 4€