Wake Up Dead Man : les quatre invraisemblances d’un scénario alambiqué

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Le film Wake Up Dead Man (troisième volet d’À couteaux tirés) se construit comme une fable noire avec un prêtre charismatique, une petite communauté travaillée à la fois par une foi obscure, la honte, l’envie, l’handicap, la souffrance et Benoît Blanc, qui déboule dans ce jeu de dupes afin de démêler un “crime impossible” au cœur d’une église gothico-disney trop propre et léchée pour être vraie. Mise en garde de l’auteur : attention divulgâchage !

Le moteur secret, lui, est presque biblique au sens littéral. Une fortune a été convertie en diamant, avalée par son propriétaire, le père Prentice, devant une petite fille nommée Martha avant d’être emportée dans la tombe, enfermée dans le cadavre et la crypte comme un péché minéral qui contamine les vivants. Autour de cette pierre, tout s’ordonne : la trajectoire brisée de Grace (la fille de Prentice et mère de Wicks), l’emprise des fidèles, les ambitions de Wicks lorsqu’il comprend qu’il peut enfin s’affranchir de la comédie religieuse.

L’élément qui déclenche la précipitation de tous les éléments est fortuit (il y a beaucoup d’éléments fortuits dans le scénario, un peu trop…). La vieille Martha, qui est depuis la mort de Prentice la gardienne du sanctuaire, l’héritière spirituelle de ce dernier, bedeau de l’église et assistante du père Wicks, croit s’adresser à Jud, le gentil jeune prêtre fraîchement arrivé, lors d’une confession dans le confessionnal, alors qu’elle révèle le secret qu’elle avait scellé dans son cœur depuis qu’elle était toute petite… Aïe. Le prêtre qui l’écoutait n’était autre que le cupide père Wicks, qui découvre enfin après tant d’années où se cache le pognon de son père qui lui revient. Grosse erreur. Martha, qui le comprend, décide alors de fabriquer un récit total sous forme d’un meurtre satanique puis d’une résurrection afin d’écraser la cupidité par le mythe.

La mécanique du twist suit cette logique de théâtre sacré. Wicks est drogué puis assassiné au terme d’une mise en scène conçue pour produire l’inexplicable : faux sang, accessoire truqué, échange d’objets au bon moment, et Jud, le jeune prêtre fragilisé, utilisé comme témoin “idéal” parce qu’il voit, croit, doute, et finit par se soupçonner lui-même. La résurrection, elle, n’en est pas une. Martha et le Dr Nat retirent le cadavre de Wicks alors qu’il est en train d’être mis en bière aux pompes funèbres, on place Samson (le compagnon de Martha) dans le cercueil, on exploite une issue (la “porte de Lazare”), une caméra de mauvaise qualité, et l’ivresse collective fait le reste…

Puis la conspiration se retourne sur elle-même. Nat, médecin complice, bascule dans la vénalité pure, tue Samson, tente d’éliminer Martha, et meurt finalement empoisonné par son propre piège. Le diamant finit sanctuarisé dans une statue du Christ à la place du cœur (Sacré-Cœur). Le diamant-mystère n’est pas résolu, mais recouvert, comme si le film choisissait de clore l’enquête matérielle par un geste symbolique.

Le lecteur l’aura compris, Wake Up Dead Man fonctionne donc comme parabole morale (le sacré instrumentalisé, la crédulité comme carburant, l’argent comme démon concret), mais il achoppe sur quelques points de causalité qui, dans un whodunnit, ne sont pas des détails. Les voilà. Une liste non exhaustive.

Le film ne donne aucune raison convaincante pour laquelle le père Prentice — présenté comme un homme pieux, austère mais fondamentalement “bon” — ferait porter à une enfant, Martha, le poids d’un secret aussi écrasant qu’une fortune avalée, une mort provoquée, un mensonge structurel appelé à hanter toute une communauté. Au plan humain comme spirituel, ce choix est problématique. Un prêtre formé sait qu’un secret de cette nature n’est pas neutre, car il crée une dette, une culpabilité, une forme de captivité psychique. En confiant ce geste suicidaire à une enfant, Prentice ne protège ni son héritage moral ni l’innocence de Martha ; il la condamne au contraire à devenir la gardienne d’un péché qui n’est pas le sien. Le film semble vouloir faire de ce moment un simple point de départ narratif, presque mythologique, mais il escamote ses implications éthiques.

Invraisemblance procédurale. Wake Up Dead Man montre le corps de Wicks dans un cadre médico-légal (morgue de la police, légistes, capitaine, Blanc, Jud). Dès lors, la substitution nécessaire à la “résurrection” — Martha et Nat qui font retirer le cadavre pour mettre le jardinier Samson à la place — exige une charnière crédible, que seraient un transfert formalisé, un relais explicite avec James (le gars des pompes funèbres), une complicité, un faux papier, une scène de tension où l’on voit comment la chaîne de garde saute. Or le film ne donne rien de tel. Il demande au spectateur d’accepter que l’étape la plus risquée (subtiliser un cadavre qui vient d’être examiné à la morgue) se produise hors champ, sans frottement administratif ni humain. Ce n’est pas impossible dans l’absolu, mais c’est une ellipse tellement massive qu’elle affaiblit le tour de magie. Le réalisateur ne cache pas seulement la solution, il cache l’opération qui rend la solution faisable.

Un autre point est plus net encore, parce qu’il est démontré par la fin elle-même. La cave du Dr Nat contient une baignoire d’acide fonctionnelle, et l’acide agit vite. Après que Martha a endormi ce dernier à coups de barbituriques et l’a traîné dans la cave, puis poussé dans ladite baignoire (comment une dame frêle et fort âgée arrive-t-elle à déplacer le corps d’un homme costaud ?), en une nuit, Nat est dissous presque jusqu’aux os, et le corps de Wicks montre déjà une destruction avancée des bras (sans que personne ne comprenne pourquoi le cadavre de ce dernier se retrouve ainsi à cet endroit, les bras ballants dans la baignoire). À partir du moment où cette information est posée, une question devient insoluble : pourquoi Nat, qui détient le cadavre de Wicks depuis plusieurs jours et dispose d’un moyen rapide et discret de le faire disparaître, le conserve-t-il au lieu de le dissoudre immédiatement ? Toutes les explications “pratiques” tombent d’un coup, puisque le film prouve qu’il n’y a ni préparation longue, ni contrainte particulière, ni lenteur. Le cadavre conservé dans la cave n’est donc pas une ruse, ni un dilemme, ni une hésitation, c’est un objet narratif maintenu en vie pour le payoff final. Et c’est là qu’on passe de l’ellipse (on n’a pas vu) à l’incohérence interne (ce qu’on voit à la fin rend le choix antérieur irrationnel).

La dernière invraisemblance, cette fois, n’est ni policière ni matérielle, mais ecclésiologique. Le film fait de la vocation de Jud la conséquence directe d’un drame de jeunesse. Il confesse avoir « tué un homme sur le ring », s’être recroquevillé sous la culpabilité, puis s’être « ouvert à Dieu » en confessant sa faute. Alléluia ! Certes… mais, dans l’Église catholique romaine (comme dans les Églises protestantes et orthodoxes d’ailleurs), le pardon sacramentel et la conversion, si réels soient-ils au plan spirituel, ne suffisent pas à lever certains empêchements juridiques à l’ordination. Un homicide volontaire constitue une irrégularité canonique pour recevoir les ordres, qui exige une procédure très rare et, en pratique, une dispense exceptionnelle délivrée par Rome. Le récit, lui, ne requalifie jamais l’événement en accident sportif et ne laisse entrevoir ni dossier, ni décision de l’évêque, ni dérogation explicite ; il demande donc au spectateur d’accepter qu’une faute que le personnage lui-même présente comme un “homicide” et une “confession” puisse conduire mécaniquement au sacerdoce, alors que la logique canonique, précisément, distingue la rémission des péchés et l’accès au ministère.

Le lecteur l’aura compris : Wake Up Dead Man, c’est un scénario alambiqué, qui flatte la mode gothico-spirituelle en vogue chez la génération Z, heureusement servi par une belle mise en scène tarabiscotée et un excellent jeu d’acteurs, jusqu’à l’acmé, le final tant attendu : la révélation-élucidation par Blanc du mortel mystère…

On peut aimer le film malgré ces failles — son atmosphère de campagne verrouillée anglaise au cœur d’un coin des USA, sa manière d’utiliser la liturgie et l’iconographie comme des accessoires de thriller, son idée centrale d’une communauté qui confond miracle et mise en scène parce qu’elle a besoin de croire pour combler de vilaines failles. Mais ces différentes invraisemblances touchent à l’ossature du puzzle, qui sont la chaîne de garde d’un corps et la logique élémentaire de la disparition d’une preuve. Elles ne détruisent pas l’allégorie, mais elles fissurent l’énigme — et, dans À couteaux tirés, c’est précisément l’endroit où l’on espèrait ne pas voir de colle.

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.