Le chat du rabbin, film d’animation de Joann Sfar et Antoine Delesvaux avec François Morel, Hafsia Herzi, Maurice Bénichou. Durée : 1 h 40
Après Serge Gainsbourg (vie héroïque), le dessinateur et cinéaste Sfar revient avec une adaptation en 3D de sa célèbre série de BD Le Chat du Rabbin, traduite en 15 langues et vendue à près d’un million d’exemplaires. Une langue chaleureuse pour une image chatoyante.
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. La charité ne fait point de tort au prochain. La charité est donc la loi dans sa plénitude » (Rm. 13,8 :10).
Résumé
Dans l’Alger des années 1920, le chat du débonnaire rabbin Sfar se met, après avoir dévoré un perroquet, à parler. A parler pour dire autant de choses sensées que provocatrices. Son maître, craignant une mauvaise influence sur sa fille, veut éloigner le malicieux quadrupède qui est de fait secrètement amoureux de la plantureuse Zlabia à qui il rêve de distribuer chatteries et langues de chat. Pour contrecarrer ce projet, le chat décide de faire sa bar-mitsva. Le rabbin doit alors l’initier à la Loi mosaïque. Or, une lettre apprend au rabbin que pour garder son poste, il doit se soumettre à une dictée en français. Pour l’aider, son chat commet le sacrilège d’invoquer l’Éternel. Le rabbin réussit mais le chat ne parle plus. On le traite de nouveau comme un animal domestique. Son ami, un peintre russe en quête d’une mythique Jérusalem éthiopienne, met en place une équipée motorisée pour réaliser cette mitsva (autrement dit, cette bonne action). Il convainc le rabbin et un imam libéral (les deux se ressemblant par maints aspects), un ancien soldat du Tsar, un chanteur et ledit miaou de faire avec lui la route coloniale… C’est parti pour jouer à chat sur des routes déformées de têtes-de-chat dans des pays où brillent les oeils-de-chat. Un voyage de formation à la rencontre de soi et de l’autre au-delà des préjugés.
Le fond
Considérations religieuses, Talmud, philosophie, rhétorique, disputatio, humour et amour se dialectisent autour d’un chat bavard (un peu trop) et impertinent. Un conte philosophique (un soupçon trop démonstratif) – entre les fables de La Fontaine, l’ironie voltairienne, l’ouverture critique des Lumières – mâtiné de tendresse pour l’homme. L’homme avec ses forces, ses faiblesses, sa bêtise et ses contradictions. Juifs, Arabes, Gentils, tout le monde en prend gentiment pour son grade. La leçon est simple : le bon sens est une vertu au service de la coexistence pacifique des convictions de chacun. Au Proche-Orient comme dans la République française. Racisme et fanatisme : à la porte !
La technique
Le trait rond et les couleurs chaudes sont bien adaptés aux rives africaines du pourtour méditerranéen. La musique mêle heureusement rythmes d’Europe centrale et inspiration arabo-andalouse. Le casting vocal est réussi, hormis le doublage de la fille du rabbin.
Malgré une cohérence d’ensemble, le découpage s’avère quelque peu elliptique et le montage incertain. Cela dessert le rythme, voire la narration. La seconde partie du film en fait les frais.
Enfin, il faut savoir qu’une fois le film terminé, les producteurs ont conçu la mauvaise idée (mais sans doute fructueuse) de le transposer en 3D (excepté l’arrière-plan). Cela a condamné le réalisateur à près d’un an de labeur additionnel. Les à-plats de Sfar s’accordant mal au relief, on cherchera en vain le gain de cette opération. Disons-le tout net : le recours à la 3D confine à l’erreur technique. Chat échaudé craint les lunettes froides…
Scène mémorable
Dans la veine de Bretécher avec sa BD Heidegger au Congo lue par Agrippine, Sfar livre une scène hilarante où Tintin rencontre « des Israélites aussi loin en territoires nègres ». Une petite pique à l’attention d’Hergé – génie des bédéistes à la ligne et à la peau claires.
Conseil
À voir à partir de 12 ans (notamment en raison de la présence d’une scène violente)