Récemment vient de paraître Chercheur de champs aux Éditions Unicité, le quatrième recueil de poèmes d’Eva Pechová. Au fil des pages, un dialogue entre quatre yeux nous laisse entrevoir des plans se succéder, à la manière de photogrammes. Le cadre se resserre sur des silhouettes fuyantes, toujours de dos. Un tourbillon d’images et de sons dans lequel se laisser aspirer.
Tout part d’un objet abandonné. C’est sur les étagères poussiéreuses de son grand-père que la poétesse le trouve, sous sa forme circulaire, démêlant des brins et torons de lumière. On l’appelle le chercheur de champs. À travers lui, la lumière surgit et se fixe sur des images volatiles. Jouant avec la forme du texte, Eva Pechová débute Chercheur de champs par un avant-propos en prose, puis l’ouvre tout en douceur en tirades versifiées.
-Ça serait comment encore ?
comme une envie qu’on apprivoise
dans les racines de la lumière
une immersion qui entonne
des archives évaporées
On croirait entendre deux voix, à moins que ce ne soit un dédoublement de la personnalité ? Peut-être un dialogue fictif entre quatre yeux où l’un voit et l’autre pas. Les descriptions affluent alors, formulations effilées sur l’éternité, le bout du monde, ou une petite île ceinte d’une muraille ferreuse. Les mots se détachent un à un, parfois en scansions brutales. Le verbe se fait aussi rapide que des instantanés. Les images surgissent et surtout, se superposent, comme celles qui s’impriment sur la pellicule d’un film. De cette fugacité que reste-t-il ? Des bribes, des échos, finissent par résonner au fond de nous.
son chapeau incliné de côté
devient vert foncé
sa silhouette aspirée
très proche du cadre de l’image
est respirée le long
des allées d’arbres
et pourtant au loin
en attente
un bout de verdure
l’absorbe
elle
en plan fixe
sur une vitre glace
qui lui sert de surface
pour se baigner dedans
plonger son corps en torse
dans les reflets fiévreux
de l’après-midi
Chercheur de champs nous déclame avant tout des vers d’amour, envers la photographie et le cinéma. Les mots sont cadrés, les plans fixes sont découpés et recomposés dans un nouveau montage visuel et spatial. Alors des fragments d’histoires défilent. On y voit des personnages, souvent s’obstinant à nous tourner le dos. Leurs postures et leurs regards retentissant à chaque fois qu’ils se répètent. Or même si les visages, à peine ébauchés, ne se laissent pas capturer par l’obturateur, la répétition des scènes finit par marquer notre rétine. Ces images rémanentes sollicitent notre fantaisie. Ces réminiscences nous donnent des impressions de déjà-vu, que l’on ne parvient plus à situer. Le livre nous offre ainsi un tumulte de visions obsédantes, où les éclairs et les flashbacks frappent notre imaginaire photosensible.
dans l’instant
elle devient la statue d’elle-même
son moulage
sur une marche
de l’escalier qui ne mène pas au ciel
mais qui s’y rapproche légèrement
elle prend en photo
tout ce qui s’offre devant elle
ce qu’elle a du mal à vivre
à retenir
à décrire
retenir à vie
peut-être
Eva Pechová est une artiste auteur née en 1996 à Prague. Elle vit à Nantes depuis 2018, et réalise différents projets au croisement de plusieurs domaines artistiques, où la parole prend corps, où le récit s’invente et émerge du flou. Elle le recherche notamment dans des formes hybrides, souvent à la frontière, à un entre-deux de la fiction théâtrale et cinématographique. Ses livres de poésie ont été publiés aux Éditions D’Ici et d’Ailleurs et aux Éditions Unicité.
INFORMATIONS PRATIQUES
Chercheur de champs, Éditions Unicité, 104 pages, paru en mai 2024, (ISBN/EAN : 978-2-38638-102-7), Prix : 13€, à commander en ligne sur editions-unicite.fr, ou directement auprès de l’auteur : e.pechova@gmail.com