Le 6 octobre 2025, les députés Marie Mesmeur et François Piquemal ainsi que les eurodéputés Rima Hassan et Emma Fourreau, sont expulsés vers la Grèce après quelques jours de détention en Israël. Les élus participaient à la flottille humanitaire Global Sumud, destinée à acheminer des vivres et médicaments vers la bande de Gaza. C’est à 14h, mardi 7 octobre 2025, que les ressortissants français ont atterri à l’aéroport de Paris-Orly.
L’épisode, apparemment clos par une mesure administrative d’éloignement, soulève pourtant des questions fondamentales de droit international public, de droit de la mer, et de protection diplomatique. Peut-on arrêter une élue étrangère naviguant en eaux internationales ? Le blocus maritime israélien de Gaza peut-il légalement s’appliquer à une flottille humanitaire ? Et comment articuler les principes de sécurité nationale avec le droit d’assistance humanitaire ?
Une interception en eaux contestées
La flottille Global Sumud s’inscrivait dans la continuité des expéditions civiles initiées depuis 2010 pour protester contre le blocus maritime imposé à Gaza. Ce blocus, instauré par Israël au nom de la sécurité nationale, est considéré comme « licite » par certains États alliés, mais « disproportionné » par plusieurs organes des Nations unies*.
Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2025, les navires de la flottille ont été interceptés par la marine israélienne en haute mer, selon les témoignages des organisateurs. En vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM)du 10 décembre 1982, « aucun État ne peut valablement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté » (article 89). Les exceptions permettant l’arraisonnement d’un navire étranger en haute mer sont strictement encadrées : lutte contre la piraterie, le commerce d’esclaves, les émissions non autorisées, ou absence de pavillon**. Or, aucun de ces cas ne s’applique ici. Le navire civil à bord duquel se trouvaient les quatre députés LFI battait pavillon reconnu et déclarait un objectif humanitaire. Juridiquement, l’intervention israélienne relève donc d’une extension unilatérale de compétence, fondée sur la doctrine israélienne dite de « sécurité préventive » : selon Tel-Aviv, le blocus autorise l’interception en haute mer de tout bâtiment susceptible de livrer assistance à une entité hostile (le Hamas).
Une détention politiquement sensible et juridiquement fragile
Transférée sur le territoire israélien, les quatre députés ont été détenus quelques jours avant d’être informés de leur expulsion vers la Grèce le 6 octobre 2025. Durant leur détention, le 4 octobre, ils auraient entamé une grève de la faim afin de dénoncer une « détention illégale » et l’absence d’accès à un avocat***. En droit international, la privation de liberté d’une ressortissante étrangère appelle la mise en œuvre du principe de protection consulaire, tel qu’établi par la Convention de Vienne de 1963 (article 36). Les autorités israéliennes avaient donc l’obligation d’informer sans délai le consulat français et de garantir l’accès à la détenue.
Le caractère parlementaire des quatre députés ne confère pas, à lui seul, une immunité extraterritoriale. Cependant, la qualité de représentant élu impose une vigilance accrue de la part de son État d’origine, au titre de la protection diplomatique des nationaux (article 1 du projet d’articles de la CDI sur la protection diplomatique, 2006)****. En pratique, le gouvernement français s’est borné à annoncer que 29 ressortissants français de la flottille seraient « expulsés vers la Grèce » le 6 octobre, évitant tout affrontement diplomatique ouvert avec Israël*****. Cette solution, si elle préserve la stabilité des relations bilatérales, laisse sans réponse la question de la légalité initiale de l’arrestation.
Le blocus de Gaza au prisme du droit international humanitaire
Le blocus maritime imposé par Israël depuis 2007 a pour objectif déclaré d’empêcher la contrebande d’armes vers Gaza. Toutefois, de nombreux juristes rappellent qu’un blocus ne saurait interdire l’acheminement de secours humanitairesdestinés à la population civile. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) considère que le blocus, dans sa forme actuelle, « constitue une punition collective » contraire au droit international humanitaire, notamment à l’article 33 de la quatrième Convention de Genève de 1949*****.
La Commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, après l’affaire du Mavi Marmara en 2010, avait déjà estimé que l’interception en haute mer d’une flottille civile constituait une violation du principe de proportionnalité et du droit à la liberté de navigation*******. Cet épisode s’inscrit ainsi dans une continuité juridique problématique : l’usage de la force militaire contre des civils en mission humanitaire, sous couvert de mesures de sécurité nationale.
L’expulsion : une solution diplomatique, non juridique
L’expulsion vers la Grèce décidée le 6 octobre par les autorités israéliennes met fin à la détention sans qu’aucune procédure judiciaire ne soit engagée. En droit, il s’agit d’une mesure administrative de souveraineté, non d’une relaxe.
Elle permet à Israël d’éviter une mise en cause judiciaire internationale, tout en maintenant la validité politique de son blocus. Mais elle ne constitue pas une reconnaissance d’innocence : le gouvernement israélien se réserve le droit de refuser à l’avenir l’entrée de ces personnes sur son territoire. Pour la France, la prudence diplomatique prime : aucune protestation officielle n’a été formulée, si ce n’est l’assurance d’un suivi consulaire. Cette posture illustre la tension classique entre raison d’État et droit international : protéger ses ressortissants sans heurter un partenaire stratégique.
Cette affaire condense plusieurs paradoxes contemporains du droit international :
- l’extension des mesures de sécurité extraterritoriales au détriment de la liberté de navigation ;
- la difficulté pour les États de faire respecter la protection consulaire effective face à des régimes sécuritaires ;
- la faiblesse des mécanismes de contrôle juridictionnel dans les affaires mêlant humanitaire et antiterrorisme.
En expulsant une députée étrangère arrêtée en haute mer, Israël a sans doute évité un incident diplomatique, mais il a confirmé une tendance inquiétante : la juridiction de la force l’emporte sur la force du droit.
Reste à savoir si les quatre députés porteront l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme ou le Tribunal international du droit de la mer, qui pourraient, à terme, rouvrir le débat sur la légalité du blocus de Gaza et sur la liberté humanitaire de naviguer.
NOTES
Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Gaza Conflict, A/HRC/40/74, 2019.
Nations unies, Convention des Nations unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982, art. 110 et 111.
Anadolu Agency, « Détenue par Israël, la députée française Marie Mesmeur entame une grève de la faim », 4 octobre 2025.
Commission du droit international, Projet d’articles sur la protection diplomatique, Nations unies, 2006.
Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, Communiqué de presse, 5 octobre 2025.
Comité international de la Croix-Rouge, Statement on the humanitarian situation in Gaza, Genève, 2023.
Nations unies, Report of the international fact-finding mission to investigate violations of international law resulting from the Israeli attack on the flotilla of ships carrying humanitarian assistance, A/HRC/15/21, 27 septembre 2010.
Bibliographie sélective
- Commission du droit international (CDI). Projet d’articles sur la protection diplomatique. Nations unies, 2006.
- Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Statement on the humanitarian situation in Gaza. Genève, 2023.
- Nations unies. Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Montego Bay, 1982.
- Nations unies. Report of the International Fact-Finding Mission on the Gaza Flotilla. A/HRC/15/21, 2010.
- Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Independent International Commission of Inquiry on the Gaza Conflict. A/HRC/40/74, 2019.
- Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. Communiqués officiels – Situation des ressortissants français en Israël, octobre 2025.
- Anadolu Agency, Flottille pour Gaza : détenue par Israël, la députée Marie Mesmeur entame une grève de la faim, 4 octobre 2025.
