Avec son étonnant film Asphalte Samuel Benchétrit a mérité toute l’attention du public lors de sa présentation en ouverture du festival de Cannes. De fait, cet asphalte est une véritable pépite. Un immeuble dans une cité. Un ascenseur en panne.Trois rencontres. Six personnages. Sternkowitz quittera-t-il son fauteuil pour trouver l’amour d’une infirmière de nuit ? Charly l’ado délaissé, réussira-t-il à faire décrocher un rôle à Jeanne Meyer, actrice des années 8o ? Et qu’arrivera-t-il à John Mckenzie, astronaute tombé du ciel et recueilli par Madame Hamida ?
A priori pas vraiment de quoi éclater de rire puisque le film Asphalte se passe sur fond de misère, morale, d’abandon, de déchéance, d’une certaine détresse.Pourtant avec une diabolique adresse et une subtilité digne de tous les éloges, Samuel Benchétrit va réussir à nous faire avaler toutes les couleuvres en nous présentant des scènes totalement improbables sous les couleurs d’une acceptable banalité. Le paroxysme est certainement atteint avec l’arrivée d’une capsule spatiale et de son astronaute, sur le toit d’une cité parisienne, lequel astronaute se rend à l’appartement de Madame Hamida qui, pas vraiment troublée, se propose de lui faire un couscous. N’omettons pas de dire que c’est pour téléphoner à la NASA afin qu’on vienne le chercher… franchement il fallait oser. C’est certainement le côté étonnant de ce film, car l’ambiance générale n’incite pas à rire et pourtant il contient une force comique d’une subtilité rarement atteinte. Le public se sent presque gêné de sourire à des situations qui n’y incitent guère.
Samuel Benchétrit mène également sa réalisation avec un sens très sûr de la chronologie. Ce sont trois rencontres différentes qui ont pour cadre cet immeuble triste et gris, mais il passe de l’une à l’autre avec facilité, comme si tout ceci était parfaitement logique ce qui rend le déroulement du film fluide etagréable. Il fait preuve d’un tout aussi remarquable discernement dans le choix de ses acteurs. À tout seigneur tout honneur Isabelle Hupert, dans le rôle de Jeanne Meyer, actrice oubliée, dépressive et plutôt alcoolique, est remarquable, elle est désabusée juste comme il faut et démontre un savoir-faire et une expérience qui la placent en haut de ce casting, elle n’y sera pourtant pas seule. Gustave Kervern, qui donne vie à Sternkowitz, personnage égoïste et misanthrope, réussit également une excellente performance d’acteur, il est sordide et nous fait pouffer de rire… surtout lorsqu’il essaye de se faire passer pour un photographe, en s’accrochant autour du cou un instamatic des années 70 et un polaroïd. Il donne la réplique à une Valéria Bruni-Teschi, touchante dans son rôle d’infirmière de nuit, qui semble un peu cassée par la vie et cache sa détresse pendant des heures de travail où dorment les malades. C’est au cours des pauses et de la cigarette qui l’accompagne immanquablement, qu’elle rencontrera cet autre cabossé et que des liens ténus se tisseront entre les deux. Que dire alors du couple exotique formé par le cosmonaute américain, Michaël Carmen Pitt et la formidable Tassadit Mandi en Madame Hamida ? C’est sans doute la chose la plus extravagante que nous fait accepter Samuel Benchétrit, la relation pudique et affectueuse qui s’installe entre ces deux personnages, nous fait sourire et nous émeut. La situation est totalement loufoque, mais resituée dans un rythme quotidien presque banal, elle passe comme une lettre à la poste, alors que si l’on veut prendre un peu de recul, on est vraiment en plein surréalisme.
Le dernier couple du film Asphalte est formé par Isabelle Hupert et Jules Benchétrit, fils du réalisateur et âgé de 17 ans. Il n’y a pas de mots pour dire tout le bien que nous pensons de ce garçon. Il illumine de sa présence diaphane tout le film de son père. Il incarne à la perfection l’adolescent fragile, un peu perdu, mais qui sait préserver une certaine énergie et un enthousiasme propre à la jeunesse. Au vu de son histoire personnelle on serait tenté de confondre Charly et Jules, l’un est délaissé par sa mère, l’autre, fils de la regrettée Marie Trintignant, a d’évidentes raisons de revendiquer une expérience du manque et de la souffrance, mais Jules dépasse tout cela, il est seulement un bon acteur et nous scotche par un charisme étonnant. D’ailleurs, nombre de critiques ont voulu le présenter comme petit fils de Jean-Louis Trintignant, fils de Marie Trintignant et fils de Samuel Benchétrit, ce qui revient à dire qu’il aurait tellement reçu les bons gènes qu’il devrait aux autres un talent dans lequel il n’auraitaucune responsabilité ! C’est une insigne ânerie ! Même dans la scène où il se trouve sur le palier de cet immeuble en ruine, seulement vêtu d’un horrible slip Kangourou en coton, Jules Benchétrit irradie, nous émeut, nous fait oublier tout le reste, et n’a besoin de personne pour incarner son personnage avec exactitude. Il partage avec Tassadit Mandi, en mère algérienne généreuse et blessée, la première place dans nos suffrages tout simplement parce qu’ils sont incroyables.
Ne manquez pas d’aller voir ce film pudique et souriant, allez admirer des acteurs confirmés ou assister à l’avènement de futurs stars. En tout cas, ne ratez pas le premier grand rôle d’un étonnant ado de 17 ans, qui en une seule fois cesse d’être « le fils de » et s’affirme comme Jules Benchétrit, acteur de talent.
Film Asphalte (Macadam Stories) Samuel Benchetrit, mai 2015, 100 minutes, avec Isabelle Huppert, Gustave Kervern, Valeria Bruni Tedeschi, Tassadit Mandi, Jules Benchetrit, Michael Pitt, Thierry Gimenez.
Asphalte (Macadam Stories)
Samuel Benchetrit
Scénario : Samuel Benchetrit, d’après ses romans autobiographiques Les Chroniques de l’Asphalte
Décors : Jean Moulin
Costumes : Mimi Lempicka
Photographie : Pierre Aïm
Montage : Thomas Fernandez
Musique : Raphaël
Production : Julien Madon, Ivan Taïeb et Marie Savare de Laitre
Sociétés de production : À Single Man, Maje Productions et La Camera Deluxe, coproduit par Emotions Films UK, Jack Stern Productions, Film Factory, Orange Cinéma Séries, avec le soutien de la région Alsace1, du CNC, du Fonds Images de la Diversité et de la Commission Images de la Diversité2
Distribution : Paradis Films (France), TF1 International (Monde)1
Pays d’origine : France
Langues originales : français et anglais
Format : couleur
Genre : comédie dramatique
Durée : 100 minutes
Dates de sortie3 :
Drapeau de la France France : 17 mai 2015 (Festival de Cannes 2015 – séances spéciales) ; 13 juin 2015 (Festival des Champs-Élysées) ; 26 août 2015 (Festival d’Angoulême) ; 7 octobre 2015 (sortie nationale)