Dans le horadre du Festival de danse Agitato, l’acrobate-danseur et chorégraphe, Jean-Baptiste André, présente son solo Floe sur une scénographie de Vincent Lamouroux, artiste plasticien. Jouée en extérieur, la pièce sera interprétée à trois reprises dans des lieux différents. Unidivers a voulu en savoir plus à propos de ces cubes blancs…
Unidivers : Vous parlez de Floe comme d’une « installation-performance ». La création de Vincent Lamouroux est-elle indépendante de l’œuvre chorégraphique. En d’autres termes, a-t-elle une raison d’être en dehors de la pièce ?
Jean-Baptiste André : À l’origine de ce projet, j’avais envie de me mettre dans un autre contexte de travail et d’aller en extérieur. Ce n’est pas un spectacle d’art de la rue ni du théâtre de rue. Floe un spectacle qui se joue dans l’espace publique. Je tiens à cette nuance parce que c’est pour moi deux choses très différentes dans le genre, dans l’esthétique. Ma volonté était de créer une pièce qui aille à la rencontre du paysage et de son public. J’ai découvert le travail de Vincent Lamouroux en 2009. Quand j’ai eu l’idée de ce projet en 2012, j’ai pensé immédiatement à Vincent. Pour moi, ce projet est double. C’est avant tout une œuvre scénographique, une œuvre plastique, une pièce de Vincent Lamouroux. Parce que tout d’un coup, il y a quelqu’un qui monte sur cette structure, cette œuvre est activée. Elle se pose avant tout dans l’espace comme une pièce à part entière. C’est pour moi une proposition de Vincent Lamouroux qui devient spectacle parce que je décide de monter dessus.
U. : Avec la pièce Comme crâne, comme culte (2009), chorégraphie de Christian Rizzo, vous aviez transposé l’œuvre chorégraphique sur une installation de Vincent Lamouroux. Pour Floe, le point de départ semble plutôt être l’œuvre de Vincent Lamouroux. De plus, vous parlez de « scène d’exposition », s’agit-il d’inviter le public à venir voir aussi une sculpture dans l’espace public ? Vous expliquez que le corps active l’installation, je rajouterais que l’installation, d’une certaine manière, active également le corps.
Jean-Baptiste André : Oui, cette réciproque est très juste. Par rapport au solo de Christian Rizzo, Comme crâne, comme culte, transposé sur l’œuvre de Vincent, il s’agissait de deux pièces indépendantes qui se sont rencontrées. Là, pour Floe, je suis arrivé, face à Vincent, avec une commande. Je lui ai exposé le concept de pièce que je voulais. Je me projetais tout de suite dans l’œuvre de Vincent ne sachant pas la forme que cela allait prendre. Une pièce qui peut être montée et démontée dans la journée, qui peut être nomade, itinérante dans l’espace. Cela a été un défi pour la conception de la pièce. Les pièces de Vincent sont souvent sédentaires. Pour moi, ce spectacle vient consacrer la rencontre avec Vincent Lamouroux. On a été au point de jonction de nos pratiques. J’aime me dire que les gens convergent vers une œuvre scénographique exposée à ciel ouvert, chaque espace devient une sorte de galerie.
U. : L’œuvre plastique de Vincent Lamouroux a-t-elle été conçue en fonction des gestes que vous souhaitiez effectuer ? Comment le dialogue entre les deux champs artistiques s’est-il déroulé ?
Jean-Baptiste André : Le concept de départ, c’était une œuvre qui se joue en extérieur, quelles que soient les conditions météo, de jour comme de nuit et une pièce sans artifice. Il n’y a pas de lumière, pas de son. C’est vraiment pur, la confrontation d’un corps à un relief. C’est la rencontre entre l’humain et la matière. J’ai fait un travail à la table de réflexion, de projection, mais je n’ai pas travaillé à une quelconque chorégraphie avant que la structure ne soit livrée. J’avais l’impression que de la structure allait émerger la chorégraphie. Je me suis dit qu’il fallait que je joue, que je me joue de la structure et que je la déjoue. Elle a des angles, des précipices, des cavités. Elle pose un certain danger. C’est une surface glissante, très pentue. J’avais envie que ce soit une proposition de la part de Vincent à laquelle je m’adapte et non l’inverse. C’est un corps qui va se confronter à un relief qu’il va devoir traverser. C’est aussi une métaphore de toute aventure humaine. Je pense aux explorateurs, aux alpinistes. Dans les retours des spectateurs, certains y voient même une métaphore d’une vie.
U. : Vous avez souhaité une certaine sobriété, à l’image de la sculpture minimale composée de cinq cubes inclinés. Bien que vous interprétiez la sculpture comme des morceaux de glace échoués, est-ce une manière de laisser carte blanche au spectateur en ne donnant pas véritablement de clés de lecture, d’orientation précise ?
Jean-Baptiste André : Je pense qu’il y a de ça. Pour moi, c’est très révélateur ce qui se passe au niveau du titre. Floe est un terme géographique anglais qui désigne un morceau plus ou moins grand de banquise. Dans certaines programmations, le Floe est écrit Floé avec un accent alors qu’il n’existe pas. J’ai l’impression déjà que la manière de prononcer le titre, ne pas savoir comment on le prononce, ça raconte déjà la nature de ce projet. Se dire « qu’est-ce que sont ces cubes ? » Objectivement, c’est cinq cubes blancs inclinés qui semblent fondre ou sortir de terre. Il y a un pouvoir imaginaire de cette structure abstraite qui peut être considérée comme une architecture faite de cubes très minimalistes. Au départ, j’avais aussi posé comme postulat que ce soit une pièce qui joue sur l’environnement autant que l’environnement influe sur l’interprétation de la pièce. À Montpellier, dans un parc, on avait l’impression que c’était un éperon rocheux sortant de la pelouse. Sous la halle du Triangle, on peut avoir l’impression que c’est un éboulement. On l’a joué devant la galerie du Centre Pompidou-Metz, on avait l’impression que c’était une œuvre du musée qui était tombée. On l’a présenté sur une grève, dans le Pays de Quimperlé, on avait l’impression de morceaux de glace venus se poser durant la nuit. Cela met en mouvement l’imaginaire du spectateur. Vincent disait que cette structure est une sorte d’élégante simplicité. Le blanc mat est la couleur pour que l’imaginaire mental du spectateur vienne s’apposer dessus. Ça ne veut rien raconter et en même temps ça peut tout raconter.
U. : Floe est une épreuve, avec des obstacles à surmonter. Un challenge physique qui est aussi très proche de votre carrière de gymnaste. Comment intégrer une dimension esthétique dans cette escalade ? Vous interrogez les limites physiques, corporelles et mentales dans cette expérience de la difficulté, de la douleur, voire de la mise en danger du corps. Il y a ce contraste entre le corps fragile qui se meut et la structure solide et fixe. Comment partager au public ce cheminement plutôt solitaire ?
Jean-Baptiste André : Je pense que cela vient de l’interprétation. Je n’ai pas voulu trop théâtraliser ou que cela soit narratif. Un homme se retrouve au pied d’une structure plus grande que lui. À l’image d’un Floe à la dérive, cet homme chemine, il trace son chemin. Comme sur une carte, il relie un point A à un point B. [NDLR c’est-à-dire que lui voyage sur les cubes, mais que les cubes voyagent aussi]. J’ai l’impression que je suis sur une ligne sur laquelle je rencontre un obstacle que je dois franchir. La structure s’inscrit dans ce parcours. La nécessité d’avancer sur une structure plastique et esthétisante. Je prends le projet comme quelque chose de très pragmatique en me disant « il faut que je traverse ! ».
U. : Comment appréhendez-vous cette relation Danseur-Sculpture-Espace ? En quoi l’environnement modifie votre approche corporelle de la sculpture ?
Jean-Baptiste André : Cela modifie mon arrivée et mon départ. Et aussi l’imaginaire avec lequel j’arrive sur la structure. Je suis aussi influencé par l’espace. Très concrètement, à Montpellier, on a joué dans un parc où nous étions sur un couloir d’hélicoptères. Un hélicoptère est passé et je n’ai pas pu ne pas en tenir compte. Je l’ai regardé. Dans mon imaginaire, j’ai eu l’impression d’être un Robinson Crusoé sur son île déserte appelant à l’aide. Cela me raconte quelque chose de différent et les gens, ça les rend complices d’un événement imprévu.
U. : Être visible par tout un chacun, gratuitement, c’est un parti pris, c’est aussi le risque de l’échec, de l’incompréhension, que cette sculpture non identifiée ne s’intègre pas à son environnement.
Jean-Baptiste André : C’est l’effet un peu recherché. L’objectif de cette pièce, c’est aussi de créer un décalage, une interrogation. Jaime me dire qu’il n’y a pas d’espace préconçu. Chaque espace va venir influer sur son interprétation.
U. : Floe apparaît comme un projet qui a semblé complexe dans sa mise en place, avec le report par deux fois des dates de première année en 2015 et 2016, cette création intervient-elle comme un tournant dans votre parcours ?
Jean-Baptiste André : C’est une pièce clé à plusieurs titres. C’est là première fois que je consomme la relation avec un plasticien. Je suis très attiré par le champ des arts plastiques, de l’art contemporain. Les premières choses que j’ai faites ont eu lieu dans un FRAC. J’aimais beaucoup le fait de venir des arts du cirque et de jouer dans un FRAC. C’est la première fois que j’initie un projet délibérément spectacle vivant et art plastique. Cela vient ouvrir une démarche. Dans Floe, ce que j’aime c’est que le concept de départ se réalise vraiment.
Floe est un spectacle de danse et acrobatie de Jean-Baptiste André – Association W – sur une œuvre plastique de Vincent Lamouroux
Floe sera représenté à Rennes dans le cadre du festival Agitato (programmation complète ici) les :
mercredi 07 juin 19h00 et 21h00 : esplanade du Triangle
jeudi 08 juin à 19h00 et 21h00 : Square de Sétubal, Métro Italie
vendredi 09 juin à 19h00 et 21h30 : Chemin d’Herzégovine, Métro Blosne
Crédits photo : Nicolas Lelièvre