La Rennaise Éléonore Defontaine est Éléonore Dot, une magicienne du dot et une Edward aux mains d’argent qui magnifie de vieux magazines de mode et invente, en peinture, linogravure et dessin, une nature enchantée peuplée de femme-fleur, de coquelicot en costard cravate et autres créatures chimériques. Un univers pop et surréaliste aux dérives Tim Burtonesque à retrouver notamment à la friperie Vacarme à Rennes.
Ouvert depuis deux ans, le site Éléonore Dot est le sanctuaire où reposent les chimères dessinées et peintes d’Éléonore Defontaine. Multipliant les techniques, l’illustratrice rennaise crée un bestiaire surréaliste à partir de matières recyclées. Des orientations artistiques développées dès sa formation en arts plastiques à l’Université Rennes 2, simple amorce qui constituera le cœur de son activité quelques années plus tard.
Diplômée d’une maîtrise en 2015, la jeune femme de 29 ans est revenue à ses premiers amours après avoir délaissé, le temps de ses études, ses sensibilités naturelles au profit d’œuvres monumentales, des installations faites de tissus et de peintures. Sa curiosité pour la découverte de nouvelles techniques et son attirance pour les matériaux recyclés ne sont alors qu’ébauches dans son travail. « Dans une installation de 3 mètres sur 3 mètres, j’avais figé et bombé du tissu récupéré au dessus de pleins de bouteilles de formes différentes », se souvient Éléonore Defontaine. Une autre était réalisée à partir de chutes de toile sur lesquelles elle avait dessiné les bâtiments de Rennes. Suspendue au mur par quelques points d’accroche seulement, la toile épaisse créait de grosses ondulations en retombant et déformait l’architecture de la capitale bretonne. « La fac a été une très bonne expérience. Je suis fière de certains de mes travaux et si j’ai l’occasion de réaliser d’autres projets aussi imposants je le ferai. »
Contrainte de retourner sur le marché du travail alimentaire après l’obtention de son diplôme, Éléonore continue le dessin et la peinture en parallèle et s’amuse à multiplier les techniques. Elle finit par tomber sous le charme de la technique du dot, travail au point très connu dans le milieu du tatouage. « Après les installations, j’avais commencé à faire des dessins qui grouillent, pleins de petits traits, de petits cercles. J’ai fini par les petits points. » La tester, c’est l’adopter. L’artiste rennaise s’épanouit dans cette technique très minutieuse qu’elle trouve relaxante, à l’instar du mandala. Une véritable bulle de détente qu’elle affectionne particulièrement. « J’étais super fan de Yayoi Kusama. Elle a été une grande référence et une artiste que j’ai beaucoup admiré quand j’étais à Rennes 2 », sourit-elle. « Elle fait des installations, des pièces complètes recouvertes de points de tailles différents ce qui crée un certain malaise quand on se trouve à l’intérieur. J’aimais ce petit côté étrange. »
Dans ses prints (impressions de ses illustrations), le dot rencontre les images récupérées dans des magazines de mode des années 20 à 60, notamment Le Petit écho de la mode. Avec un mère et un beau-père brocanteurs, les vieux objets ont accompagné son enfance. C’est naturellement qu’elle commence à travailler avec ce type d’objets, de matériaux. « J’ai toujours eu beaucoup de vieux magazines. Je les feuilletais, feuilletais… J’adorais les vêtements à l’intérieur ! », s’enthousiasme-t-elle. « Un jour, j’ai découpé une silhouette et dessiné une tête d’oiseau ou un squelette dessus, j’ai adoré donc j’en ai fait un, deux, trois, quinze, vingt… », pour ne plus s’arrêter. Depuis, Éléonore ne cesse de donner naissance à des chimères à partir de ces silhouettes de mode, qu’elle récupère ou qu’elle dessine elle-même. Une Frankenstein du papier, sauf que ses créatures ne s’animent pas. Quoique…
L’illustratrice ne peut s’empêcher de mélanger les techniques et les matériaux. Il arrive ainsi régulièrement qu’Éléonore s’évade vers d’autres techniques. Personnage et nature imaginaires, des fleurs à la langue fourchue, une jeune femme le cerveau en pleine agitation tentaculaire, prennent vie sur papier dans un mélange de dessin, collage et linogravure. Ce procédé d’estampe consiste à graver une matière, du lino par exemple, en taille d’épargne. Ce qui est gravé sur la planche reste de la couleur du papier et le reste du motif prend la couleur de l’encre appliquée.
Son travail constitue la rencontre entre des espèces qui peuplent notre planète (animal, végétal et humain) et les techniques. Son style baigné de surréalisme emprunte fortement à l’univers des cabinets de curiosité. C’est étrange, parfois malaisant, mais imprégné inexplicablement d’une note de poésie et de douceur. Dans ses créations, Éléonore sort le familier de son contexte et leur confère une dimension singulière que l’on peut rapprocher de ce que le psychanalyste Sigmund Freud a nommé l’inquiétante étrangeté, ou plutôt l’inquiétante familiarité. Une sensation, un ressenti d’angoisse, d’effroi naît chez l’individu face à une situation ou des choses connues depuis longtemps, mais sorties de leur contexte originel.
Éléonore crée également des broches afin d’être plus accessible. Dans la même veine que ses illustrations, elle découpe de petits bustes qu’elle colle avant de terminer aux petits points et de résiner, peindre et vernir. Naissent alors de petits tableaux originaux que l’on peut porter sur soi pour la modique somme de 28 €. « Les pièces uniques restent difficiles à vendre en marché, ça arrive mais c’est rare. »
L’habituée du changement des techniques est revenue ces derniers temps à ses premiers amours de fac, la peinture. « Au début, il y avait aussi du collage dans mes peintures, mais j’ai beau avoir une centaine de magazines, ça s’épuise très vite. Généralement, c’est la page de couverture qui est la plus importante avec le buste assez grand pour en faire un tableau », explique-t-elle. « J’ai commencé à avoir du mal à trouver ce qu’il me fallait pour les formats, alors je me suis dit, pourquoi pas peindre moi-même les bustes en style vintage. » Toutes réalisées sur bois, ses premières peintures, plus sombres mais déjà féeriques, ne sont pas sans évoquer l’univers autant enfantin qu’horrifique du réalisateur Tim Burton. L’excentricité des créatures et de la végétation, à l’instar du Champi Vénényeux, rappelle ainsi l’adaptation d’Alice aux pays des merveilles et l’incontournable L’Étrange Noël de Mr Jack. « Je suis une fana des champignons. Tous les automnes je vais à la cueillette aux champignons, c’est mon dada, quand il pleut, quand il y a de l’orage », confie-t-elle amusée. Dents, yeux ou coquelicots, l’artiste crée au fil de ses petites et gentilles obsessions.
Depuis quelques mois, fleurs hallucinées et enchantées aux couleurs pop habitent les cadres dorés chinés par Éléonore Defontaine. « Je me rends compte qu’en hiver je fais beaucoup plus de peintures sombres et quand le beau temps revient, il y a des fleurs, de la couleur dans tous les sens », confie-t-elle. « Le temps, la saison et l’humeur jouent sur ma création. » Coquelicot en chemise et Pensée bleue rappellent ainsi aussi bien le surréalisme de Salvador Dali que les couleurs criardes du Pop Art, notamment Roy Liechtenstein dont elle aime particulièrement le travail.
En Bretagne, les broches et les prints d’Éléonore sont à retrouver à la friperie Vacarme à Rennes et dans la boutique associative de créateurs et créatrices Les Pipelettes à Vannes. Elle sera également présente au marché dinardais de la la création à Dinard les samedi 17 et dimanche 18 juillet. Alors, tenté.e.s par une curieuse petite adoption ?