Espionne dans le Grande Guerre, Louise de Bettignies au travail
Dans le roman graphique Espionnedans la Grande Guerre, Louise de Bettignies 1880 –1918, publié aux éditions Locus Solus, l’auteure Liza Kerivel et l’illustrateur Luc Monnerais font revivre celle que l’on surnomme « La Jeanne d’art du Nord ». Le travail du Rennais est teinté d’une couleur qui sublime un dessin en noir et blanc profond, riche en détails.
Quand on lui demande quel élément est à l’origine de sa carrière d’illustrateur, Luc Monnerais avoue répondre systématiquement la même chose : « Je n’ai pas de souvenir de moi qui ne dessine pas ». Après des études à l’Université Rennes 2, il travaille de longues années dans le monde de l’entreprise comme styliste, maquettiste et designer. Mais sa passion de la peinture et de l’illustration conduit cette âme de peintre, dès 2012, dans le monde artistique et celui de l’édition.
Dans les détails d’une illustration de Luc Monnerais
Luc entre dans l’univers de la bande dessinée par hasard, par sa rencontre avec l’auteur Olivier Keraval et la parution de Danse Macabre (2012). Si son style était déjà défini – un dessin traditionnel fourni attaché aux détails et aux scènes d’ambiance – cette première collaboration le conduit à explorer une technique du noir et blanc, pour répondre aux codes du polar, qu’il a depuis fait sien. « Je travaille essentiellement sur des grands formats : du format raisin pour la bande dessinée et parfois plus grand pour les illustrations », souligne-t-il. « J’emploie un crayon gras entre le pastel et le fusain. Il a la particularité de devoir souvent être taillé si on veut faire des détails, ce qui explique pourquoi je ne travaille pas plus petit. »
« J’aime le papier, le grain et la facture de l’image qu’il permet, et faire des expériences. »
Dans la peau d’un bourreau, Procès de Violette Nozière
Luc Monnerais joue avec les différentes duretés des crayons gris pour composer des images aux contrastes saisissants. « Ce n’était pas suffisant donc j’ai commencé à utiliser ce fameux crayon noir à partir de ce moment-là. » Cette technique l’a ensuite accompagnée dans sa rencontre avec Hélène Jegado, personnage principal de la BD Arsenic (2017), toujours en collaboration avec Keraval. « La Jégado a vécu au XIXe siècle, je voulais trouver les ambiances qui traduisent cette époque et ce crayon correspondait très bien. »
La couleur est venue par la suite, avec le livre illustré Dans la peau du bourreau (2022), histoire pour laquelle il utilise des papiers teintés. Il explique le processus : « Une fois posé sur le papier teinté, le noir est fixé puis je rajoute quelques teintes et du rehaut de blanc à la peinture acrylique ou au Posca pour travailler la lumière et les volumes ». Dans Espionne dans la Grande Guerre, la technique reste la même, mais le travail de la couleur : pour certaines illustrations, différents papiers colorés construisent l’image à la façon d’un puzzle.
Dans la peau du bourreau, Anatole découvre la réalité du métier de son père
Un dessin ancré dans la petite Histoire
Au fil des publications, son travail révèle un attrait pour l’histoire, du moins les faits réels : Arsenic raconte l’histoire d’Hélène Jégado, célèbre tueuse en série bretonnes et Dans la peau du bourreau s’inspire des carnets d’exécutions écrits de la main d’Anatole Deibler, bourreau français le plus célèbre aux 395 exécutions « [Olivier] Keraval a une passion pour l’histoire. Dans macabre est un polar fictif, mais il s’intéressait à une forme de réalisme et prêtait beaucoup d’attention aux détails. » Là où le scénariste ou l’écrivain mène des recherches sur des archives et des livres, Monnerais, lui, en mène une iconographique : il pioche dans les gravures, photographies, peintures et dessins de presse d’époque. « Toutes ces images traduisent des époques et des ambiances. »
« Ce sont les ambiances que j’aime poser à travers l’époque, pour que le dessin soit crédible. »
Si son dessin est ancré dans l’histoire, le dessinateur garde tout de même la liberté de laisser parler son imagination : elle se trouve dans ses choix de scènes, de plans, de cadres, mais aussi dans l’attitude des personnages et dans le choix des couleurs. « C’est important dans la bande dessinée, mais une scène se construit en plusieurs planches alors que dans une illustration, on concentre les éléments pour traduire ce que l’on doit traduire. »
Espionne dans le Grande Guerre, Louise de Bettignies. Gare de Lille
Espionne dans la Grande Guerre, Louise de Bettignies
Une portrait couleur glacée à la chevelure volumineuse et aux traits sculpturaux, des soldats pour représenter la guerre 14-18 et un échiquier pour traduire la notion d’espionnage forment la couverture de l’opus récemment publié. Grande résistante durant la Première Guerre mondiale, Louise de Bettignies fait partie des personnes historiques que l’on a envie de faire connaître : issue d’une famille bourgeoise, elle avait pour projet de rentrer dans les ordres et ne se destinait pas à ce chemin de vie. « C’est un personnage hors norme qui se fait embarquer par l’Histoire », exprime-t-il. « Comme beaucoup femmes déterminantes dans l’histoire, elle a été oubliée. »
Le roman graphique, qui prend une forme épistolaire, n’est pas un livre d’histoire, mais s’attache à être fidèle. « On la fait parler à la première personne afin de donner une tonalité libre à ce qu’on raconte à travers elle. »
Sous les traits de Luc Monnerais se dessinent ceux de Louise de Bettignies, dont il s’est particulièrement attaché à reproduire la chevelure très présente et reflet d’une époque. « Au delà de lui donner un air aristocratique, cette coiffure lui donne une prestance et un port de tête altier », précise le dessinateur. « Il existe peu d’images d’elle, à part une photographie et un très beau dessin. »
Dans une alternance de grandes planches et de cases, on découvre dans ces pages la figure de l’espionne, ainsi que la société et l’époque dans lesquelles elle a vécu. « Elle savait ce qu’elle risquait, mais a fait preuve d’un courage extraordinaire. » Le dessin porte un texte accessible dont l’écriture à la première personne apporte une touche confidentielle au récit.
Louise de BettigniesEspionne dans la Grande Guerre – Louise de Bettignies
Le dessin est le prolongement de la main Luc Monnerais, au service d’une histoire à raconter, d’une vie à explorer. Il invite ici à découvrir celle d’une femme qui a marqué la France pour sa détermination et son courage.
Prochaines date de dédicace: -Festival BD de Chalonnes sur Loire 7 et 8 février (pour l’instant sous réserve). -Festival du livre de caractère de Quintin 6 et 7 mars. -Festival BD d’Ancenis 28 et 29 mars. -Festival BD Château de Kerjean (29) 23 et 24 mai. -Festival BD de Saint-Quay-Portrieux 29, 30 et 31 mai avec expo originaux de « Espionne dans la grande guerre ».