Très étrangement, j’ai parfois un mal fou à pondre un billet sur un livre que pourtant, j’ai beaucoup aimé… Soit par manque de temps ou de paresse, je laisse un trop grand délai entre ma lecture et l’écriture de mes impressions, soit, et c’est souvent le cas, parce que le livre, même s’il m’a plu, ne se laisse pas si facilement que cela apprivoiser et que je ne sais pas par quel bout le prendre, sans raconter l’histoire dans tous ses détails, ce qui n’a pas grand intérêt, que vous l’ayez déjà lu (dans ce cas, vous la connaissez) ou que vous ayez envie de le lire (pas très sympa de tout vous dévoiler avant que vous n’attaquiez votre lecture)… Ainsi en est-il de La belle amour humaine…
Ce roman est un long monologue, celui de Tomas, un homme taxi qui parcourt une bonne partie de l’île d’Haïti pour rejoindre le village côtier d’Anse-à-Fôleur, où veut se rendre Anaïse. Pourquoi cet endroit du bout du monde alors qu’il y aurait d’autres sites à visiter pour cette jeune occidentale ? Ce n’est pas le tourisme qui l’attire, mais un passé qu’elle tente d’exhumer, de comprendre, d’appréhender en allant respirer le même air que son père à peine connu. Car c’est de là qu’il vient, et c’est là certainement que se trouve l’explication de sa vie et de son caractère, et surtout ses racines.
C’est dans ce village en effet qu’ont régné deux personnages qui ont laissé leur marque sur les choses et les gens. Le colonel à la retraite Pierre André Pierre, autrefois chef de la police politique et ancien instructeur de l’académie militaire, souvent violent et dont les gens avaient une peur justifiée s’était lié d’amitié, contre toute logique, avec Robert Montès, un homme d’affaires véreux. Les deux compères firent construire dans le village deux maisons voisines et jumelles, narguant par là la population pauvre en étalant leur richesse acquise par des procédés peu louables.
Mais une nuit, les maisons furent brûlées et les deux hommes y périrent. L’enquête menée par un policier de la ville n’aboutit à rien, que des soupçons non étayés, du vent soufflant sur le silence des gens du coin…
Tomas raconte la vie, la ville et les gens, il parle, parle tout au long des heures de route et dévoile son pays et le cœur de ceux qu’il connait. Les mots coulent et peignent les couleurs, les cris et les chants, les odeurs d’ici, racontent la réalité brute, mais aussi parlent tendresse et amour, respect et honneur. Le style de Lyonel Trouillot est un régal et on y plonge avec délices, on se laisse bercer par le souffle de ce récit, autant que par celui des réflexions d’Anaïse, qui n’a pas écouté grand-chose, mais a été, comme nous lecteurs, touchée par la musique des mots.
Plus que la recherche de cette jeune femme sur son passé, ce roman est surtout un cri d’amour pour Haïti et pour ses habitants, et une réflexion sur la condition humaine. Riche ou pauvre, que laissons-nous comme trace de notre passage ici bas, que faisons-nous qui marquera les temps futurs, et sommes-nous capables de nous côtoyer, de nous aimer malgré nos différences, quelles soient de niveau social ou bien de couleur de peau ?
Alix Bayart